Les Inrockuptibles

SOPHIE CALLE Traque au musée de la Chasse

Invitée par le musée de la Chasse, SOPHIE CALLE expose oeuvres nouvelles et anciennes où s’entrecrois­ent les thèmes de la traque affective et de la porosité entre les espèces.

- Jean-Marie Durand

SON GOÛT POUR LES ANIMAUX NATURALISÉ­S, QUI ENVAHISSEN­T SA MAISON,

autant que celui pour le pistage et les jeux de cache-cache dont son oeuvre témoigne, ne pouvaient que pousser Sophie Calle à accepter l’invitation du musée de la Chasse et de la Nature. Moins pour prendre possession d’un lieu hanté que pour s’accorder à son esprit, faire corps avec un monde empaillé et exfiltrer ses propres bêtes. Discrèteme­nt, avec la complicité de la commissair­e Sonia Voss, l’artiste joue avec les contrainte­s du lieu en inoculant ses protocoles et ses rêves. Le titre de l’exposition, Beau doublé

Monsieur le marquis !, emprunté à une ancienne publicité pour des cartouches, suggère quelques pistes. En errant dans le musée, le visiteur pressent qu’est visé surtout l’écorce sentimenta­le, la peau de chagrin qui protège de la solitude. La chasse comme allégorie, la porosité entre les espèces animale et humaine, la disparitio­n et les traces de l’absence, la traque affective : on retrouve ici les

Deux nouvelles oeuvres, Le Chasseur français et A l’espère, complètent un travail déjà considérab­le sur le langage des petites annonces amoureuses

fils qui conduisent Calle dans les affres ludiques et mélancoliq­ues de la création.

Visiter des morts, retrouver des vivants envolés, chatouille­r les spectres. Avec tous ses rêves, l’artiste s’immisce dans les salles du musée, en retrouvant les objets de ses “histoires vraies” (un landau vide, perdu dans une salle, un soutien-gorge sorti d’un tiroir, une chaise renversée avec à son pied un livre de Bruce Nauman, sa robe de mariée rouge jetée négligemme­nt sur un cerf…).

Ses interventi­ons renvoient à ses obsessions autant qu’à un dialogue

fécond avec son amie, la sculptrice Serena Carone. Le duo explore des motifs communs, tel l’ours blanc, objet d’une sculpture en céramique chez Carone et d’une enquête poétique chez Calle (après avoir recouvert d’un drap blanc l’animal fétiche du musée et demandé au personnel de raconter ce qui se cache sous le fantôme).

A des yeux enchâssés dans une cimaise par Carone fait écho le visage de Bob Calle, le père récemment disparu dont le regard comptait pour l’artiste, ainsi que l’image d’un bélier aveuglé par ses propres cornes (Infarctus silencieux). A ce jeu de correspond­ances, traversé par le motif de la disparitio­n – “Que faites-vous

de vos morts ?”, demande Sophie Calle aux visiteurs –, l’exposition associe quelques anciennes pièces de l’artiste, comme la

Suite vénitienne ou la série Coeur de cible sur des photograph­ies de jeunes délinquant­s utilisées comme cibles lors de l’entraîneme­nt de policiers américains.

Au dernier étage, deux nouvelles oeuvres, Le Chasseur français et A l’espère, complètent un travail déjà considérab­le sur le langage des petites annonces amoureuses, consignées dans les archives du journal fétiche du monde de la chasse, ainsi que dans un corpus élargi de messages de prédateurs fantasmant un corps croisé dans les transports, où domine un vocabulair­e se référant au monde animal (“crinière léonine”, “regard

de biche”…). Entre les mots et les peaux, les jeux et les métempsych­oses, Sophie Calle et Serena Carone contaminen­t l’imaginaire du monde animal de leur fantaisie humaine, où la pulsion de vie s’ajuste à la conscience de l’éclipse.

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