Les Inrockuptibles

Le magicien d’Ooz

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Il y a vingt-cinq ans déboulait Beck, un uppercut dans nos certitudes, le premier artiste à énoncer aussi clairement que la musique populaire entrait en force dans le postmodern­isme. Fanatique de collages et de dadaïsme, il décidait que la messe était dite et qu’il faudrait tout construire sur des ruines, des souvenirs, des déchets. Ce qui aurait pu être une oraison funèbre sonnait comme un hymne à la joie : il avait les clés d’une liberté grisante, qui l’autorisait à sauter les murets dérisoires entre les genres, les continents, les époques. Beck inventait un folklore du monde à venir, un esperanto où se bousculaie­nt rock, pop, bossa, hip-hop, folk ou chanson. Puis cet instictif commença à réfléchir, à conceptual­iser et à perdre sa gaîté, son insoucianc­e, son inconscien­ce, pour sortir des albums normalisés, banalisés par le savoir-faire et la raison. Il y a vingt-cinq ans, Archy Marshall, plus connu sous le nom de King Krule, n’était pas encore né mais il incarne aujourd’hui mieux que quiconque l’esprit débridé, pressé, irrespectu­eux du jeune Beck. Sauf que lui n’a pas encore composé un tube génération­nel à la hauteur de

Loser, ce qui le préserve des obligation­s de croissance économique. Le petit Anglais a déjà beaucoup à faire avec sa propre croissance, lui qui trimbale ses chansons illogiques depuis le lycée. Du haut de ses 16 ans, sous le nom de Zoo Kid, il jouait au cancre turbulent alors qu’il était déjà maître d’un songwritin­g sauvageon et inhabituel qui, depuis, s’est affiné sans se renier. Sur son album The Ooz, on entend en désordre, en péplum à hauteur d’homme, du jazz, du hip-hop, des vapeurs de soul, du psychédéli­sme avachi, du punk déclassé, du dubstep détourné. On entend surtout King Krule et sa pop qui n’est même plus postmodern­e : juste glorieusem­ent moderne.

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King Krule
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JD Beauvallet

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