Wong Kar-wai, une révolution
Reprise en salle de ses oeuvres des années 1990, hommage au Festival Lumière à Lyon : un pouvoir d’envoûtement intact.
C’EST QUOI ÊTRE À L’HEURE POUR UN CINÉASTE ? Wong Kar-wai (WKW), dont cinq des premiers films ressortent en salle, peut se targuer de l’avoir toujours été. Nos années sauvages, Chungking Express, Les Cendres
du temps, Les Anges déchus et Happy Together (ne manque que le tout premier essai, As Tears Go By) précèdent la maturité atteinte avec In the Mood for Love et 2046. Réalisés entre 1990 et 1997, ces cinq films figurent la décennie qui les a vus naître et installent un système de mise en scène qui ne variera quasiment plus – système dévolu à la captation des sentiments et du temps que son passage, particulièrement erratique ici, fait naître.
Chez le Hong-Kongais, tout n’est que question de décalage et de déchirement. Tantôt le temps s’accélère, tantôt il ralentit (et parfois les deux dans le même plan, grâce à l’effet step-printing inventé par son génial chef op Chris Doyle) ; tantôt il avance ou recule ; et pendant qu’il n’en fait qu’à sa tête, les femmes et les hommes qui y baignent et n’ont d’autres choix que d’en suivre la flèche, à sens unique, seconde après seconde, froidement, eux souffrent.
Il est de bon ton de souffrir en silence, mais WKW a le chagrin musical : mambo, rumba, tango ou sunshine pop ont ainsi recouvert plus que de raison ses images et rendu par là même caduque la connotation péjorative de l’adjectif “clipesque”. Oui, avec WKW on a pu voir des clips au cinéma, les habiter et en être fier. C’était cela, être à l’heure dans les années 1990.
Et aujourd’hui ? Le maître n’a rien montré depuis 2013. Mais à revoir ses premiers films, ce qui frappe, c’est qu’il n’ont pas pris une ride. A l’heure un jour, à l’heure toujours, génie de la modernité cinématographique – de Godard à Antonioni, de Carax à Leone – que de rester moderne. Jacky Goldberg