Bullywood
Angelina Jolie, Gwyneth Paltrow, Asia Argento, Emma de Caunes et beaucoup d’autres racontent toutes peu ou prou la même histoire sordide concernant Harvey Weinstein : sous prétexte de discussions de travail, le mogul du cinéma indé attirait ces dames dans son bureau ou sa suite de palace, se changeait en peignoir ou se dénudait, réclamait massages et plus même si pas affinités, allant parfois jusqu’au bout de son désir non-réciproque, c’est-à-dire jusqu’au viol. On en reste abasourdi, consterné, écoeuré. C’est entendu, Weinstein est un gros dégueulasse qui abusait de sa position de pouvoir au mépris des lois et de ses victimes, un bully qui mérite que la justice s’occupe enfin de son cas.
Au-delà de l’individu Harvey Weinstein, les récits sont tellement nombreux, corroborés, et couvrent une période tellement longue (plus de trente ans) qu’on ne peut que constater l’existence d’un système de prédation au sein des compagnies Miramax puis Weinstein (des collaborateurs ou collaboratrices organisaient les rendez-vous du nabab en rut) ainsi que l’omerta de tout un milieu, ce que montrent telle vanne sur la libido de Weinstein lors des oscars en 2013, tel échange de tweets amers entre l’actrice Rose McGowan et Ben Affleck, celle-ci reprochant à celui-là son silence alors qu’elle l’avait mis au parfum, ou encore le communiqué langue de bois de la Weinstein Company qui ressemble à un pare-feu.
Cette affaire rappelle celles de DSK ou de Bill Cosby, mais aussi l’ouvrage de Kenneth Anger,
Hollywood Babylone, ou le chef-d’oeuvre Mulholland Drive, soit tout un imaginaire où des femmes sont dévorées par des hommes-loups. Mais pas besoin d’avoir lu Freud pour savoir que l’imaginaire, la fiction, le fantasme sont une chose, le réel une autre : certains des puissants de ce monde, qu’ils règnent sur le cinéma, la politique ou les affaires, semblent ne plus faire ce distinguo et ce sont le
New York Times et le New Yorker qui le leur ont rappelé. Merci à eux. Et c’est un autre enseignement collatéral de cette affaire : dans notre monde délirant du tweet, de la fake news et de la postvérité, c’est le bon vieux journalisme d’investigation qui a fait oeuvre de salubrité publique.