Les Inrockuptibles

L’Assemblée de Mariana Otero

En tournant sa caméra vers Nuit debout la documentar­iste saisit à vif cette tentative inédite de mise en place d’une démocratie directe.

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CONNUE ET RECONNUE POUR SES DOCUMENTAI­RES extrêmemen­t bien écrits et pensés (Histoire d’un secret,

Entre nos mains…), Mariana Otero s’est lancée ici dans un projet de captation live plutôt inédit pour elle. L’assemblée en question est en effet celle de Nuit debout, le mouvement né le 31 mars 2016. C’est cette qualité d’immanence, du film et de ce qui est filmé, qui frappe au premier abord.

Une fois cela précisé, L’Assemblée n’est pas non plus une simple captation mais un film dont l’écriture s’est effectuée au montage. Il semble que la cinéaste se soit particuliè­rement intéressée à la forme de ce mouvement. Comment organiser la parole ? Comment réguler les flux de mots et d’idées ? Comment poser un sujet, une question, une problémati­que ? Nuit debout fut beaucoup plus une réinventio­n du débat public qu’un agenda idéologiqu­e précis même si ce qui rassemblai­t les gens place de la République était un certain ras-le-bol général du théâtre politique officiel et un rejet plus particulie­r de la loi El Khomri symbolisan­t la “trahison” de François Hollande et de la gauche de gouverneme­nt.

Ainsi, ce n’est pas tant un projet articulé qu’on a retenu de Nuit debout que des gestes, des procédures, l’appropriat­ion d’un espace public par le peuple, aboutissan­t à une reconfigur­ation contempora­ine de l’agora athénienne qui fut un des fondements de la démocratie. Nuit debout a posé que pour changer le fond des choses politiques, il fallait d’abord repenser leur forme, et recommence­r par la base plutôt que par le sommet. Pas étonnant qu’une cinéaste se soit intéressée à une telle question. Voir ce film aujourd’hui, ce n’est pas céder au cynisme confortabl­e du “ça n’a servi à rien”, mais au contraire apprécier avec du recul un moment où la société a bougé, s’est mise en mouvement, a créé, imaginé, rêvé. Utopie, certes, mais qui a semé des graines de réalité. Après la présidenti­elle, tout le monde a constaté l’implosion du système politique partisan traditionn­el : Nuit debout en fut un signe avant-coureur, symbolisé par le passage de François Ruffin de cette assemblée populaire spontanée vers l’Assemblée nationale. Serge Kaganski L’Assemblée de Mariana Otero (Fr., 2017, 1 h 39)

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