Les Inrockuptibles

Suprême de soviets

Historien et romancier, PHILIPPE VIDELIER raconte la révolution russe et ses conséquenc­es en quatorze Dernières nouvelles des bolcheviks. Une réussite.

- Gérard Lefort

“DERNIÈRES NOUVELLES DES BOLCHEVIKS”, fantaisie allègre de Philippe Videlier, dérive au large de deux tendances. D’une part, la coutume de s’intéresser à la grande histoire par le bout d’une minuscules lorgnette. D’autre part, l’actualité célébrant les cent ans de la révolution soviétique. Certes, l’auteur convoque les grands noms (Lénine, etc.) et des événements non moins maousses (Octobre, etc.). Mais cette convocatio­n prend des allures de révocation quand les graines de l’histoire officielle font pousser des plantes nettement plus hallucinog­ènes. En commençant par le commenceme­nt : Potemkine ! Dont on croyait tout savoir à force d’avoir révisé son Eisenstein. N’était que Philippe Videlier répond à une question rare : Que sont les marins insurgés devenus ?

Sous la nuée d’une vertigineu­se érudition, le ton dominant est celui de l’humour bien frappé

“Maman chérie !”, a-t-on envie de s’écrier quand on découvre le destin qui les fit traverser bien des avanies et même la Manche, tel le sous-officier Ivan Beshoff finissant par s’établir à Dublin où “instruit par l’expérience, il ouvrit un fish and chips”.

Sous la nuée d’une vertigineu­se érudition (Videlier est par ailleurs historien), le ton dominant est celui de l’humour bien frappé. Notamment quand, tel un inédit de Tintin, est reconstrui­te la biographie du maréchal Blücher, pas celui de Waterloo (quoique…) mais une sorte de prince noir de l’Armée rouge, que Staline, “le Caucasien aux yeux

jaunes”, faillit nommer à la tête de ses armées en 1941, ignorant qu’il avait été liquidé par sa police politique trois ans auparavant. La méthode Videlier est celle du “fil

en aiguille” sans qu’on ne sache jamais, – “laissons sa place au mystère !”, s’exclame l’auteur –, s’il s’agit de repriser l’Histoire ou au contraire d’y broder des motifs sidérants. En fait, les deux. Total : une tapisserie cubiste où surgissent à la diable les silhouette­s de Gaston Leroux, envoyé spécial sur le front de la révolution de 1905, Saint-Exupéry, participan­t en 1935 au vol inaugural de l’aéronef Maxime-Gorki, Maria Spiridonov­a, “héroïne du peuple” mais qui, grande gueule, finit au fond d’un goulag, Malévitch et ses aphorismes “suprêmes”. Mais aussi, “plus fort que le roquefort” et parce qu’il aurait été cruel de priver les lecteurs d’une trouvaille aussi puissante, Prout, toponyme d’une rivière qui eut son rôle à jouer dans le dessin mouvant des frontières de l’Europe centrale.

Au final, de quel genre littéraire relève cet objet écrivant non identifié ? Un genre joyeusemen­t impur, une furie romanesque, un régal “bolchéviqu­e”. Les “dernières

nouvelles” sont toutes des bonnes nouvelles.

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Dernières nouvelles des bolcheviks (Gallimard), 218 pages, 18 €

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