Les Inrockuptibles

“Thierry a plus la psychologi­e d’un moine-soldat que d’un capitaine d’industrie, c’est un intellectu­el”

- LAURENT BECCARIA

Ce sera ensuite la course à pied, à haute dose, et pas n’importe quelle discipline : le 3 000 mètres steeple, celle des soutiers de l’athlétisme, exigeante et ingrate. “Une course de fond avec obstacles, ça forge le caractère et prépare

à la vie politique”, s’amuse-t-il. C’est un admirateur du coureur anglais Sebastian Coe. Plus pour son style que pour sa reconversi­on en député, précise-t-il.

Mandon a aussi un style bien à lui. Encarté au Parti socialiste en 1981, son engagement politique se construit à son entrée à Sciences-Po en 1984. La gauche au pouvoir a déjà impulsé le tournant de la rigueur quand Laurent Fabius est nommé Premier ministre à 37 ans. “J’aime cette tentative

de renouveau”, explique Mandon. Il sera l’un des piliers du club fabiusien Espaces 89. Rue Saint-Guillaume, il se distingue par sa qualité de patron – d’une entreprise d’événementi­el, Gag à gogo. “Ça détonnait à Sciences-Po, ce n’était pas un fils à papa, il disait qu’il voulait faire de la politique, devenir Président, on se moquait de lui”, raconte son ex-camarade de promo et amie Isabelle Giordano. Au café, avec Alexandre Jardin, ils parlent d’art, de littératur­e – Mandon est incollable sur Stefan Zweig. Il s’y lie aussi d’amitié avec Laurent Beccaria et Arnaud Montebourg qu’il aidera, des années plus tard, à lancer le Nouveau Parti socialiste.

Au sortir de Sciences-Po, il travaille deux ans dans les ressources humaines avant de devenir en 1988 le plus jeune député de France, à 30 ans. L’absence de féminisati­on et l’individual­isme des parlementa­ires le choquent. Balayé par la vague bleue de 1993, il retourne dans le privé, chez Darty, et aide Martine Aubry à monter sa Fondation Agir contre

l’exclusion. En 1995, il emporte la mairie de Ris-Orangis qu’il ne quittera qu’après son retour à l’Assemblée en 2012, dix-sept ans plus tard. “L’engagement politique de ma vie a été dévorant mais vous

avez le sentiment d’être utile”, raconte-t-il. Conseiller général de l’Essonne, il fonde et préside le Genopole, son oeuvre”, un pole de recherche universita­ire qui vise à combler le retard français en création d’entreprise­s de biotechnol­ogie.

2012. François Hollande bat Nicolas Sarkozy. Thierry Mandon siège de nouveau dans l’hémicycle.

Le quinquenna­t à peine commencé, il se distingue par un franc-parler mâtiné de loyauté. Il s’oppose à la suppressio­n des heures supplément­aires défiscalis­ées mise en place par Nicolas Sarkozy en 2007. Après avoir soutenu son pote Arnaud Montebourg à la primaire de 2011, il désapprouv­e sa ligne politique et le comporteme­nt du ministre de l’Economie. “J’ai deux boussoles : l’Europe et le principe de responsabi­lité, quand on a une fonction on l’assume, on ne peut être ministre et opposant en même temps”, assure-t-il.

Son grand dossier sera la modernisat­ion de l’Etat. Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, pousse l’idée d’un choc de simplifica­tion. A la tête du conseil en charge du projet, Thierry Mandon et le chef d’entreprise Guillaume Poitrinal proposent une batterie de mesures. En 2014, Mandon est nommé secrétaire d’Etat chargé de la Réforme de l’Etat et de la Simplifica­tion. Et passe sous la tutelle de Matignon. “J’ai éprouvé un sentiment de solitude sur ce combat, si je n’étais pas écouté à ce moment, il n’y aurait pas de raison que je le sois plus tard…” Un an avant la fin du quinquenna­t, son choix est fait : il arrête la politique.

Dans l’ambiance de fin de règne qui accompagne la déliquesce­nce du pouvoir hollandais, Thierry Mandon est l’un des rares ministres socialiste­s en fonction à soutenir publiqueme­nt Benoît Hamon. “Pourtant, il a été dragué outrageuse­ment par Emmanuel Macron, il aurait pu être Premier ministre”, estime le journalist­e de Libération Grégoire Biseau, qui l’a côtoyé. Mais le pragmatiqu­e de gauche n’y croit pas : “J’ai été frappé de la disparitio­n de l’éthique de conviction pour des pratiques de survie.” “Deux tiers des hommes politiques de carrière passent leur temps à calculer pour soigner leur cote de popularité”, estime Guillaume Poitrinal, aujourd’hui coprésiden­t de Woodeum. “Reste un tiers qui fait de la politique par engagement, par conviction et pas toujours par nécessité parce qu’ils pourraient faire autre chose. Thierry Mandon en fait partie, il ne calcule pas.” A politique atypique, patron de presse atypique ? “Thierry a plus la psychologi­e d’un moine-soldat que d’un capitaine d’industrie, c’est un intellectu­el”, estime Laurent Beccaria qui l’a fait venir. Bavard dès qu’il s’agit d’analyser “la vanité” du macronisme parlementa­ire ou “la relation anthropolo­gique des Français

avec l’Etat”, Mandon est économe sur son compte. “C’est faire qui m’intéresse”, tranche-t-il. Il sera en charge du fonctionne­ment général de la maison, du projet de création d’Ebdo et de l’articulati­on entre les trois titres. Là où tous les hebdos peinent à vendre du papier, la bande d’Ebdo estime possible de casser le cercle vicieux de la défiance des lecteurs avec une offre indépendan­te au contenu qualitatif, pédagogiqu­e et populaire. Quant au risque d’un tel projet ? “Il est temps à nouveau, de nous jeter à l’eau”, chantonne le nouveau directeur général. Anne Laffeter

Newspapers in French

Newspapers from France