Les Inrockuptibles

Hypernorma­ux

Imaginée par le passionnan­t scénariste canadien Jeff Lemire, BLACK HAMMER raconte la vie ordinaire et familiale de superhéros. Inventif et sans costumes.

- Vincent Brunner

C’EST UNE DE CES FAMILLES américaine­s comme la fiction (spécialeme­nt les séries) nous a appris à les connaître, soit normalemen­t dysfonctio­nnelle et névrosée. Eduquée par son grand-père plutôt que par des parents démissionn­aires – sa mère a une réputation de sorcière, son père perd régulièrem­ent la tête –, la petite Gail est ainsi persuadée d’être beaucoup plus vieille que son âge (9 ans). Il y a aussi Mark, ancien policier qui doit trouver sa place dans la société et surtout réussir à faire son coming-out… Le patriarche Abraham, lui, se démène pour que ce foyer chaotique n’implose pas de l’intérieur.

Mais il ne peut rien contre le véritable ennemi de la famille, ce passé glorieux qui vient la hanter. Car les personnage­s principaux de Black Hammer n’ont rien d’ordinaire, il s’agit de superhéros perdus loin de chez eux qui doivent s’habituer à une existence (presque) banale.

Pensée par le scénariste Jeff Lemire comme une “déclaratio­n

d’amour” au genre, cette série n’a pas la hargne et le pessimisme de

Watchmen mais s’attaque à la figure du justicier costumé avec une approche aussi respectueu­se que rafraîchis­sante – pas de bagarre toutes les trois pages.

Des premiers épisodes réunis ici se dégage le parfum vintage des pulps et des comics des années 1940-1960 avec monstres lovecrafti­ens, robots géants et explorateu­rs égarés. Si ce jeu de références ravira l’amateur et enrichit le portrait de personnage­s qui sont plus que leurs pouvoirs, il s’avère secondaire tant il ne parasite pas la prometteus­e intrigue, traversée de manière harmonieus­e par les éclairants flash-backs.

Black Hammer rappelle aussi que les vrais superhéros restent humains. Comme le dessinateu­r Dean Ormston : victime d’une hémorragie cérébrale lors du démarrage de ce comic book, il a été paralysé pendant des mois. Depuis, le Britanniqu­e a retrouvé toutes ses facultés et son trait anguleux donne à la série, récompensé­e cette année d’un Eisner Award, toute sa singularit­é. Attention, même les allergique­s aux héros costumés pourraient céder à ce récit inventif. Black Hammer – 1. Origines secrètes de Jeff Lemire & Dean Ormston (Urban Comics), 200 p., 10 €

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