Todd Haynes
Grand cinéaste du temps passé et du temps qui passe, TODD HAYNES crée une arche entre les années 1920 et 1970 en adaptant une BD de Brian Selznick sur la quête en miroir de deux enfants. Il parle de son film, de son art d’auteur et de l’Amérique inquiétan
L’Américain crée une arche temporelle avec Le Musée des merveilles, adapté d’une BD
LES ANNÉES ONT BEAU PASSER, POUR LUI COMME POUR TOUT LE MONDE, TODD HAYNES DEMEURE
UN SÉMILLANT JEUNE HOMME sur lequel le temps semble ne pas avoir prise. Peut-être la musique est-elle le secret de cette éternelle jeunesse pour celui qui a consacré des films à Karen Carpenter (Superstar: the Karen Carpenter Story), Iggy et Bowie (Velvet Goldmine) ou Dylan (I’m Not There), sans oublier les BO soyeuses qu’il a convoquées pour enluminer ses mélos sirkiens ( Loin du paradis, Carol). Jean-baskets, esprit vif et alerte, légèrement grisonnant mais le visage toujours juvénile malgré ses 50 et quelques automnes, l’auteur de Safe exsude encore la fraîcheur, l’enthousiasme et la capacité d’émerveillement de l’enfance.
L’émerveillement et l’enfance sont justement au coeur de son nouveau film, le très précieux Le Musée des merveilles, fontaine d’idées de cinéma et d’émotions adaptée d’un roman graphique de Brian Selznick (également auteur de L’Invention
de Hugo Cabret). L’occasion d’une nouvelle rencontre avec Haynes pour parler des puissances magiques du cinéma, de la ville comme territoire d’aventure, le questionner sur son inclination passéiste et recueillir sa grande inquiétude suscitée par l’actuel président des Etats-Unis, incarnation de tout ce contre quoi le cinéaste s’est toujours battu.
Todd Haynes — Je ne connaissais pas l’ouvrage de Brian Selznick ! Tout a commencé par ma vision du film de Scorsese, Hugo Cabret, que j’ai beaucoup aimé. Pourtant, je ne suis pas fan de la 3D, mais j’ai trouvé que Scorsese faisait un usage très fin et très intelligent de cette technologie. Utiliser la 3D pour mettre en valeur la technique du début du XXe siècle, ses inventions mécaniques, et notamment le cinéma, j’ai trouvé ça génial. Voyant ce film, je me suis dit que, contrairement à l’idée reçue, la 3D condense l’espace plutôt qu’elle ne l’élargit, elle le réduit comme si on plaçait les choses dans des petites boîtes magiques. Or, il se trouve que Sandy Powell, ma costumière (qui est aussi celle de Scorsese), est devenue très proche de Brian. Elle a lu le scénario tiré du Musée des merveilles, a tout de suite pensé que c’était pour moi et en a parlé à Brian. Il pensait que ça ne m’intéresserait pas du tout, il devait croire que j’étais un violeur d’enfants ou quelque chose comme ça (rires)… Come on Brian ! Bien sûr que cette histoire était faite pour moi !
Qu’est-ce qui vous a particulièrement touché dans ce projet ? L’enfance ? Le handicap oral et auditif, riche de possibilités de cinéma ? La peinture doublement vintage de New York ?
J’ai été frappé par le potentiel cinématographique et conceptuel de ce scénario. Le livre avait déjà ce potentiel. Il est divisé en deux, avec l’histoire des années 1920 racontée en dessins et celle des années 1970 en texte. Les deux récits s’entrecroisent selon cette double division textuelle et temporelle. Cela permet à l’imaginaire du lecteur de naviguer de l’une à l’autre. J’ai trouvé ce procédé incroyablement cinématographique, riche de possibilités de montage, de hors-champ, d’appel à l’imaginaire du spectateur. Et puis la surdité et le mutisme renforçaient cet aspect cinématographique, avec toutes les possibilités de jeu sur le son. Dans le scénar, on place de la musique sur l’histoire des années 1920 et les sons réels de la ville sur celle