Les Inrockuptibles

Comment l’electro peut-elle retrouver la diversité de ses origines ?

La musique electro, créée par et avec les minorités sexuelles et raciales, est devenue en trente ans un milieu très normé. Certains clubs et festivals tentent de lui donner un nouvel élan plus fidèle à ses origines.

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QUAND UN HOMME DJ GAGNE 1 $, UNE FEMME QUI EXERCE LE MÊME BOULOT EMPOCHE 46 CENTIMES.

C’est le triste et récent constat publié par l’agence HoneyBook, renforcé depuis quelques années par de nombreuses associatio­ns, comme Women Shaping Tomorrow, qui a établi qu’en 2016, sur l’ensemble des festivals de musique, seulement 17 % des artistes bookés étaient de sexe féminin. La presse musicale n’est évidemment pas en reste. Pour ses 25 ans, la référence DJ Mag, dans sa liste des 25 artistes qui ont changé le cours de l’electro, a carrément oublié que les femmes existaient !

Ce sexisme se reflète évidemment dans la réalité de tous les jours, où des DJ comme Nina Kraviz, Amélie Lens ou Charlotte de Witte sont la cible de remarques misogynes basées sur leur physique. Récemment, le DJ Konstantin déclarait sans ciller : “Ce n’est pas normal que les femmes DJ soient autant mises en avant en ce moment, alors qu’elles sont souvent moins douées que les hommes et savent moins bien mixer.” Pendant ce temps, Frontliner assénait que si

on trouvait moins de femmes productric­es que d’hommes, c’était “parce qu’elles passaient trop de temps chez Sephora”.

Et comme la misogynie voyage rarement seule, ce sont aussi le racisme, l’homophobie et la transphobi­e qui entachent régulièrem­ent la réputation d’une culture qui semble avoir oublié qu’elle a été inventée par les minorités de genre, de couleur et de sexe. Même l’institutio­n Boiler Room, après le déluge de commentair­es haineux qui a suivi les prestation­s du collectif suédois Staycore et de la productric­e Nightwave, a décidé d’exercer une modération plus sévère sur son site de diffusion de DJ-sets.

Un renverseme­nt de situation qui met en colère Honey Dijon, DJ transgenre et noire : “La scène electro est devenue un concentré de testostéro­ne, je ne comprends pas comment ce mouvement né entre les drags, les gays et les blacks a pu en trente ans devenir aussi blanc et hétéronorm­atif.”

Victoire sur le beat, la résistance s’organise petit à petit. Ainsi le Panorama Bar, institutio­n berlinoise, qui a confié ses résidences à des DJ lesbiennes ; le festival TUFFest, qui ne programme que des artistes femmes, non binaires ou transgenre­s ; les espaces safe et féminins mis en place par des festivals comme l’Electric Forest ou le Shambhala ; le tumblr verymaleli­ne-ups, qui incite promoteurs et bookeurs à plus de diversité ; le collectif Honey Sound System de San Francisco, qui mise sur le grand mélange sexuel des débuts de la house, ou plus près de nous les soirées Shemale Trouble, conçues par des trans pour les trans. Comme si le manifeste publié sur Resident Advisor il y a quelques années par The Black Madonna, qui tout en squattant les affiches des meilleurs festivals et clubs electro n’hésite jamais à l’ouvrir, avait enfin fait des petits : “La dance a besoin de riot grrrls. Il faut qu’elle dérange dans son euphorie. La dance a besoin de queers et d’excentriqu­es, d’adolescent­s qui en ont marre de toute cette merde. La dance a besoin de gens plus pauvres, de ceux qui n’ont pas les bonnes chaussures pour entrer en club. La dance a besoin de ceux qui se pointent en club avant minuit parce qu’ils ne peuvent pas payer l’entrée. La dance doit renverser le statu quo.”

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La DJ trans Honey Dijon

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