Les Inrockuptibles

Bamako-bayou, a way to blues

BOUBACAR TRAORÉ est parti enregistre­r en Louisiane. Des musiciens du cru et le son typique du grand bluesman malien habitent un album simple et chaleureux.

- Stéphane Deschamps

L’HISTOIRE DE BOUBACAR TRAORÉ A SOUVENT ÉTÉ RACONTÉE.

Tellement édifiante qu’on ne résiste pas à la tentation de la répéter – mais alors en trois lignes. Celle d’un chanteur et guitariste rockeur surnommé Karkar, dont quelques chansons jouées à la radio (mais jamais enregistré­es en studio) connurent un immense succès dans le Mali fraîchemen­t indépendan­t des années 1960, avant que le chanteur ne disparaiss­e de la circulatio­n, puis ne revienne une trentaine d’années plus tard pour une carrière internatio­nale, sous la forme d’un bouleversa­nt bluesman mandingue.

Du Karkar des 60’s, on ne connaît qu’une photo, pause façon Elvis dans Jailhouse Rock, blouson de jean au col relevé et guitare électrique en bandoulièr­e.

Mali Twist, son tube radio vintage, donne son nom à la belle exposition consacrée au photograph­e du swinging Bamako Malick Sidibé, qui se tient en ce moment à Paris à la Fondation Cartier. Mais alors, pourquoi Boubacar Traoré n’a-t-il jamais été photograph­ié par Sidibé à l’époque ?

Sur ses souvenirs de cette période, Boubacar Traoré reste assez laconique :

“J’ai rencontré Malick Sidibé plus tard, pour mon film Je chanterai pour toi. Dans les années 1960, on était fiers, on était gais, on n’avait pas de soucis. On écoutait Otis Redding, James Brown, Ray Charles, John Lee Hooker, Elvis Presley, Johnny et Sylvie. Moi je jouais dans un orchestre, pour les surprisesp­arties et les bals-poussière, il n’y avait pas de vrais concerts.” Au fond, peu importe les faits révolus. Un nuage de mystère a toujours nimbé les plus belles histoires musicales, et de l’eau a depuis coulé dans le lit du fleuve Sénégal, comme dans celui du Mississipp­i.

Depuis sa poignée d’albums des années 2000, et maintenant largement septuagéna­ire, Boubacar Traoré est définitive­ment plus intéressan­t pour son présent que pour sa légende. A force d’être qualifié, à juste titre, de grand bluesman africain (voire le dernier, depuis la mort d’Ali Farka Touré), il a fini par y aller, au pays du blues. D’abord en tournée, puis pour enregistre­r son nouvel album,

Dounia Tabolo. Lafayette, Louisiane, en plein (et plat) pays créole.

A la fin du printemps dernier, Boubacar Traoré se pose au studio Staffland avec ses fidèles musiciens Vincent Bucher (harmonica) et Alassane Samaké (percussion­s), à la rencontre de trois musiciens du bayou : le violoniste cajun Cedric Watson, le guitariste de blues Corey Harris, et la chanteuse-violoncell­iste Leyla McCalla.

Boubacar Traoré est chez eux, mais c’est lui qui invite. Cet album est le sien. Il y rejoue certaines chansons qui le suivent depuis toujours. On y retrouve sa pulsation rythmique et ses harmonies de guitare qui pleure, immédiatem­ent reconnaiss­ables. Les théories sur les liens entre le blues américain et la musique ouest-africaine sont intéressan­tes (Corey Harris les avait d’ailleurs explorées en 2003 dans le film

Du Mali au Mississipp­i de Martin Scorsese), mais ce disque tendre et chaleureux n’a pas pour mission de démontrer quoi que ce soit. C’est un disque de blues, de vieux type simple et à qui on ne la fait pas, avec un sens certain des priorités : “Le moment qui m’a le plus plu en Louisiane, c’était un jour avant la fin de l’enregistre­ment : on a mangé, pris un café, tout le monde était gai. Quand les choses sont faites avec le coeur ouvert, la musique donne de la joie, elle fait passer les soucis.”

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