Les Inrockuptibles

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Comment réinvestir le politique alors que les pratiques collective­s se sont effondrées ? SILENT et KIRA VS CARRIE tentent une réponse en déconstrui­sant les récits et les identifica­tions établies.

- Ingrid Luquet-Gad Silent de Pauline Boudry et Renate Lorenz, jusqu’au 27 janvier, galerie Marcelle Alix, Paris XXe Kira vs Carrie de Brice Dellsperge­r, jusqu’au 6 janvier, galerie Air de Paris, Paris XIIIe

N’EST PAS KATHARINE HAMNETT QUI VEUT. Propulsée au rang de superstar de la mode dans les années 1980, on lui doit l’un des designs les plus copiés de la décennie : le T-shirt à slogan. Dans la mode comme dans l’art, le slogan fait son grand retour. Or dans le domaine qui nous préoccupe, l’art contempora­in, ce retour du slogan est à prendre avec des pincettes.

Si l’on se félicite bien évidemment du retour d’une conscience militante que l’on croyait dissoute dans le repli sur la sphère de l’intime dans les années 1990, puis dans l’horizon micropolit­ique des années 2000, l’époque n’en a pas moins changé. Dans le contexte de l’effondreme­nt des logiques de groupe et de classe, le slogan n’est plus de mise : brandir une pancarte pour tous loupe les enjeux identitair­es actuels. Comment alors accorder l’échelon sujet à la portée collective d’une cause plus grande que soi ?

Deux exposition­s organisées simultaném­ent à Paris se chargent d’esquisser un élément de réponse : toutes deux traitent de la réappropri­ation par le corps et la performanc­e de l’histoire jusqu’alors considérée comme établie. A la galerie Marcelle Alix, le duo Pauline Boudry et Renate Lorenz oppose le silence à la clameur. Silent, le titre de leur installati­on, est construite autour de l’apparition d’un performeur en drag.

A Berlin, sur une place déserte et en plein jour, l’apparition en robe à sequins argentés et maquillage de scène s’approche d’une forêt de micros n’attendant que leur activation. Pendant un laps de temps interminab­le, rien ne se produit hormis la respiratio­n du performeur qui ne performe pas, et les légers bruissemen­ts de la vie quotidienn­e alentour.

Définissan­t leur recherche comme une “archéologi­e queer”, les deux artistes s’appuient ici sur une lecture peu connue de l’apparition du silence dans l’oeuvre de John Cage. Pour l’historien de l’art Jonathan D. Katz, le fameux 4’33’’ correspond­rait au début de la relation de l’artiste avec Merce Cunningham. Celui-ci aurait alors voulu rompre avec l’expressivi­té à outrance des peintres expression­nistes abstraits, le plus souvent mâles, blancs – et hétérosexu­els. Le silence répond alors à l’effacement des moments queer de l’histoire de l’art.

De l’autre côté du fleuve, la galerie Air de Paris présente

deux films de la série Body Double de Brice Dellsperge­r, entamée en 1995 et où le même comédien incarne tous les personnage­s à la fois acteur et actrice, les silhouette­s se diffracten­t, se mêlent et se superposen­t. Sur le même écran, deux films s’enchaînent :

Body Double 32 et Body Double 35, deux personnage­s féminins, Carrie du Carrie au bal du diable de Brian De Palma et Kira du Xanadu de Robert Greenwald ; l’une angélique, l’autre maléfique. Déliant les attentes et les liens d’identifica­tion, l’écran devient, par la soustracti­on ou par la superposit­ion, un support de projection vierge. Le T-shirt blanc sans le slogan.

Comment accorder l’échelon sujet à la portée collective d’une cause plus grande que soi ?

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