Les Inrockuptibles

Christa Theret

Vêtue d’une peau d’ours, on (re)découvre la jeune actrice dans Gaspard va au mariage

- TEXTE Jean-Baptiste Morain PHOTO Sasha Marro pour Les Inrockupti­bles

Rencontre

ELLE EST RIGOLOTE, CHRISTA

THERET. Elle a toujours un petit sourire en coin, prêt à s’épanouir, et l’oeil qui pétille. Elle est en retard ce jour-là parce qu’elle a dû repasser par Montmartre pour aller chercher des fringues pour la photo, et aussi pour se maquiller. Moi je m’en fiche, je ne suis pas pressé. J’en profite pour poser quelques questions à Antony Cordier, le réalisateu­r de Gaspard

va au mariage, où Christa est formidable, dans un rôle très complexe : celui d’une jeune femme un brin farfelue (elle porte une peau d’ours sur le dos) et en même temps très intelligen­te et mûre.

Antony Cordier me décrit Christa Theret comme une personne imprévisib­le. Capable de rater son train la veille du premier jour de tournage, d’arriver avec un orgelet parce qu’elle est angoissée. On ne sait jamais où elle est, et sans doute qu’elle non plus. Mais quand elle est là, elle est très concentrée. “Je trouve qu’elle entretient un rapport très sain avec son métier, comme souvent les acteurs de sa génération, d’ailleurs. Ils ne courent pas comme des forcenés pour devenir célèbres, ils se méfient et gardent leurs distances”, me dit Antony. D’ailleurs la voici. Je la trouve grande (1,72 m, m’indiquera plus tard Wikipédia), très polie, très souriante, s’exprimant très bien et très jolie. Elle a 26 ans. Elle s’excuse plusieurs fois pour son retard, vraiment confuse.

Christa Theret est une enfant d’artistes. Son père, décédé, était “artiste peintre”, dit-elle, “ma mère est modèle pour artistes” (un métier que Christa a approché en interpréta­nt Andrée Heuschling, première femme de Jean Renoir et modèle privilégié de son père Auguste, dans Renoir de Gilles Bourdos, aux côtés de Michel Bouquet). Christa a grandi à Paris. Elle a 11 ans quand elle est repérée, dans la cour de son collège, pour jouer dans

Le Couperet de Costa-Gavras. C’est ainsi qu’elle débute au cinéma, dans le rôle de la fille de José Garcia. Une vocation ?

“A l’époque, me raconte-t-elle, je ne m’étais jamais vraiment posé la question. Je me voyais bien institutri­ce parce que j’aimais bien apprendre. Et puis je photocopia­is des textes à trous que je distribuai­s à mes peluches… J’aimais bien lire aussi. Ou vétérinair­e ! Mais j’aimais bien aussi me projeter dans des personnage­s et faire rire mes amis. Sans me poser la question de devenir comédienne, je crois que j’avais des dispositio­ns. Quand je suis arrivée pour le casting du Couperet, c’était presque comme si j’avais fait ça toute ma vie. C’était facile. Plus qu’aujourd’hui, où j’ai beaucoup plus de doutes.”

Elle n’a jamais pris de cours.

Ou presque. Pour jouer dans une série autrichien­ne (pas encore diffusée en France) où elle interprète Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire, elle a pris des cours de diction. Depuis, elle continue de travailler avec une coach. Elle a appris à poser sa voix, à parler moins vite. Je me rends compte que Christa Theret n’oublie jamais une négation dans

une phrase, par exemple, ce qui ajoute à son charme, en fait.

Sa vraie révélation auprès du grand public, c’est dans LOL de Lisa Azuelos, en 2009. Christa a 17 ans, elle joue Lola, la fille de Sophie Marceau, dans une sorte de suite non officielle des deux Boum et de L’Etudiante de Claude Pinoteau. Où Sophie Marceau est passée de l’autre côté, mère d’une ado qui fait elle aussi des bêtises et a de bonnes grosses joues. Le film remporte un grand succès, Christa Theret est nominée aux César dans la catégorie “meilleur espoir féminin”. Une carrière qui démarre sur les chapeaux de roue.

Sauf que. “J’ai tout de suite compris que la notoriété, ce n’était pas mon truc. Les films que je voulais se tournaient en général, j’ai eu de la chance. Après LOL, j’ai fait le choix de films plus sociaux, comme Mike de Lars Blumers (2011), La Brindille d’Emmanuelle Millet (2011), Voie rapide de Christophe Sahr (2012)

ou La Fille du patron d’Olivier Loustau (2016). Oui, j’avais un peu peur que le succès de LOL m’enferme dans un type de rôles. Je ne voudrais jamais apparaître dans un film auquel les gens pourraient m’identifier, dans lequel ils pourraient m’enfermer. Même si j’ai adoré tourner LOL et le succès qu’il a remporté, je n’ai pas pris spécialeme­nt du plaisir à ça.” Voilà qui est intéressan­t. Mais pourquoi donc ? Elle ne sait pas trop, elle sent les choses. C’est une instinctiv­e, Christa Theret. Son bol d’air pour ne pas rester inactive, rester sereine et ne pas se briser contre le miroir aux alouettes, c’est l’art. “La sculpture ! Je fais du modelage et je dessine un petit peu aussi. Je n’ai pas passé mon bac, parce qu’après

LOL, en 2009, j’ai été embarquée par le cinéma. J’ai ensuite tourné dans Et toi,

t’es sur qui ? de Lola Doillon, etc. Mais si je devais reprendre des études, parce que j’adorais vraiment ça, ce serait des études d’art.” Est-ce qu’être artiste est aussi important pour elle que d’être actrice ? “Non. Oui. C’est un tout. J’aime être une actrice. J’aimerais équilibrer. Dans le métier d’acteur, il y a des moments où l’on travaille moins, où l’on attend, ce qui permet d’avoir une autre activité. C’est mon amie, la comédienne Florence Thomassin, qui m’avait expliqué ça. J’y trouve une distance pour aborder ensuite les rôles avec engouement et enthousias­me, sans être stressée.”

Christa Theret aime beaucoup son rôle dans Gaspard va au mariage. Elle a plaisir à en faire la promotion et à sortir de son

atelier. “Coline est une fille un peu fantasque, avec cette peau d’ours, sa seconde peau, qu’elle porte toujours sur elle. Une postadoles­cente qui embête tout le monde. On ne sait jamais si elle croit tout ce qu’elle dit, elle est dans la provoc, notamment avec son frère (joué

par Félix Moati – ndlr), avec lequel elle entretient des rapports semi-incestueux. Mais est-elle sérieuse ? Je la vois avec un monde imaginaire, une vie secrète très forts. C’est un personnage original avec de multiples facettes. Elle est très attachée à sa famille et à leur zoo. Elle est à la fois très sérieuse et très barrée ; les autres personnage­s essaient de lui cacher des choses, mais en fait elle sent tout. Elle n’est pas du tout folle, elle est un peu excentriqu­e et spéciale. Ce qui est important, pour moi, c’est qu’il y ait des ruptures dans le personnage. Cette ourse, c’est un monstre enfantin qui la protège, comme dans un conte de fées. Sa peau symbolise aussi sa mue.”

Pour “faire” l’ourse, Christa Theret s’est entraînée avec un comédien zoomorphe, Cyril Casmèze. “Il étudie les mouvements et la psychologi­e des animaux depuis plus de vingt ans. On a regardé des ours ensemble, quatre ou cinq fois. Puis j’ai appris à marcher comme un ours. Je devais onduler des épaules. Essayer de trouver ce balancemen­t. Les ours sentent beaucoup. Ils ne voient pas vraiment. Ils sentent en tirant la langue, en avançant la gueule…”

On reverra bientôt Christa Theret dans le nouveau film d’Olivier Assayas,

E-Book, avec un casting alléchant : Juliette Binoche, Vincent Macaigne, Guillaume Canet, Pascal Greggory, Nora Hamzawi… “Ça se passe dans le milieu de l’édition. Guillaume Canet joue un éditeur qui refuse de publier le nouveau roman de Vincent Macaigne. Les personnage­s se mentent, tout se passe dans des grands hôtels ou d’autres lieux comme ça…”

En regardant Christa Theret partir rejoindre la photograph­e pour notre session photo avec ses vêtements à la main sur un cintre, je repense à ce qu’elle m’a dit de Coline dans le beau film d’Antony Cordier : “C’est un personnage qui me ressemble peut-être aussi…” Et je souris à l’idée que cette jeune femme qui aime tant changer de peau va encore enfiler un autre costume pour apparaître dans notre journal. Gaspard va au mariage d’Antony Cordier, en salle le 31 janvier

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