LOMEPAL AU-DELA DU RAP
Le rap, le skate, le DIY : Lomepal, 26 ans, raconte à lui tout seul une certaine histoire du début de siècle. Disque d’or avec Flip, son premier album, il tourne et planche déjà sur la suite avec sa team de producteurs, dont Superpoze. Rencontre en studio
“ON A LE HIT ! ON A LE HIT !” Ça, c’est VM The Don qui crie dans le salon. Il peaufine une instru depuis des heures et le résultat commence à prendre forme. Lomepal est sur la terrasse, il se marre en l’entendant. Avec VM, il sait que ce genre d’annonce peut être sérieuse depuis que ce dernier a produit Yeux disent, single dont le clip plane désormais à 11 millions de vues sur YouTube. “Ce morceau, c’est son bébé, sourit Lomepal. Il a très envie de recommencer.” Les deux garçons dorment à Rome depuis plus de deux semaines. Ils ont installé leur home studio dans un grand appartement donnant sur la Villa Pamphilj, le plus grand parc (mais pas le plus connu) de la capitale italienne. Avec eux, il y a Superpoze, Pierrick Devin et Yassine Stein. Sont également passés ici, dans les jours précédents, les producteurs Stwo et Mohave. Avec la même mission : poser les bases du prochain album de Lomepal, dont la sortie est envisagée pour la fin de l’année.
Ils ont travaillé tous ensemble pour enregistrer une quinzaine de prods. Ils font passer les boucles, les reprennent, les retravaillent. Lomepal se lève quand il sent quelque chose. Il teste des mélodies avec des bribes de textes, ou carrément en yaourt. Il imagine un gimmick, calcule la mesure, et là,
“paf, ça part !”, s’excite-t-il. Superpoze ajoute alors une batterie, bientôt reprise par VM The Don, etc. “En fait, on travaille un peu comme un groupe de rock”, remarque Superpoze. La preuve, il y a même une guitare et une basse dans le salon. “J’ai jamais vu des gens bosser comme ça
dans le rap, confirme Yassine Stein. Lomepal a une approche complètement différente. C’est mathématique dans sa tête.” Yassine est le backeur de Lomepal sur scène. Il est aussi, accessoirement, son colocataire à Paris. Il connaît donc bien le personnage, avec qui il embarque bientôt pour trois mois de tournée entre la France, la Belgique et la Suisse, avant d’enchaîner avec les gros festivals de l’été (dont We Love Green et les Vieilles Charrues) et de terminer avec une date symbolique à l’Olympia. Comme Lomepal, Yassine a les cheveux longs et se balade en claquettes-chaussettes dans le home studio. C’est apparemment la tenue dans laquelle on se prépare à un succès de plus en plus important.
Lomepal est désormais disque d’or (“et bientôt platine”, tient-il à préciser) avec son premier album, Flip, qu’il a publié en indépendant au mois de juin dernier. Dessus, outre Yeux disent, on retrouve les tubes Palpal, 70, Club, Malaise, ainsi que des feats avec Roméo Elvis, Camélia Jordana ou encore Caballero. Tous ces morceaux ont un point commun : ils marquent une rupture avec le Lomepal des premiers ep, longtemps coincé dans des postures de rap à l’ancienne. “Avec Flip, j’ai été sincère pour
la première fois, reconnaît-il. J’ai longtemps voulu être technique pour impressionner les gens, mais j’en ai eu assez d’avoir des choses
à prouver. J’ai commencé à moins faire du rap pour les rappeurs et à faire de la musique, tout simplement. J’adore chanter, le travail sur les mélodies est hyper intéressant.”
Flip est le résultat de deux années de travail et de réflexion, pour se débarrasser de ses postures initiales, avec lesquelles il n’a d’ailleurs jamais complètement brillé. Dans l’ombre de ses potes de lycée rassemblés autour du crew 1995, dont un certain Nekfeu, Lomepal est vite doublé au début de la décennie. “J’ai même failli arrêter”, dit-il en se remémorant les mauvais retours sur son premier morceau enregistré en studio. Le titre est publié en 2011 et s’appelle A la trappe. C’est un featuring avec… Nekfeu.
Cette époque semble bien lointaine aujourd’hui. Lomepal est devenu disque d’or en osant chanter, donc, mais aussi en jouant avec son image dans ses clips. Plus audacieux encore dans un héritage du rap encore très marqué par la misogynie et l’homophobie, il pose en robe et maquillé sur la pochette de son album (lire encadré page 13).
“Il ne cherche pas à être quelqu’un d’autre, observe Pierrick Devin (qui, avant celui de Lomepal, a bossé sur l’album de… Nekfeu). Il a ses convictions artistiques et il s’y accroche. C’est sa plus grande force.” Yassine Stein, parallèlement occupé à un projet solo, va dans le même sens : “Ça ne suffit plus de bien rapper, il faut apporter quelque chose de plus.”
Pour Lomepal, bingo, il lui suffira d’être enfin lui-même pour tourner la page d’un début de carrière cahoteux. Même le titre de Flip est une façon d’assumer son autre passion, le skate – absolument central dans sa vie mais qu’il n’avait jamais exploré dans ses morceaux avant. Ironie de la vie : c’est grâce à la musique que Lomepal est désormais signé chez Nike, dont l’influence dans le monde du skate est devenue incontournable ces dernières années. “Ce serait mentir de dire que le succès ne change pas les choses, dit-il. C’est hyper agréable.”
Avant de trouver son blaze dans l’air maladif qu’on lui trouve régulièrement, Lomepal naît Antoine Valentinelli en 1991. Il grandit dans le XIIIe arrondissement de Paris avec ses soeurs et sa mère, artiste peintre engagée notamment auprès de personnes handicapées ou souffrant de maladies mentales. Son père, lui, est correcteur chez Gallimard. Mais il ne le voit pas beaucoup à l’époque. Quant à l’école, bof.
A 10 ans, Antoine découvre le skate et y plonge sans retenue. Il chope ses premières planches d’occasion dans les shops parisiens. Nous sommes au début des années 2000 et le skate n’est pas encore mainstream en France – idem pour le rap. Ça se passe avant la mode des pantalons Carhartt et des chemises à carreaux chez les hipsters ; avant, aussi, que les rockeurs ne récupèrent les jeans slim…
“J’ai commencé à moins faire du rap pour les rappeurs et à faire de la musique, tout simplement. J’adore chanter” LOMEPAL