Les Inrockuptibles

LA DOULEUR Une adaptation acérée de Duras

Robert Antelme a été déporté dans un camp de concentrat­ion. Du livre dans lequel Marguerite Duras décrit l’attente du retour de son mari, le cinéaste Emmanuel Finkiel tire une adaptation acérée.

- Serge Kaganski

PAS FACILE D’ADAPTER

MARGUERITE DURAS ni de passer après elle cinéaste, qui fut l’une des rares (avec Resnais, ou Arrietta) à imprimer la “musique” durassienn­e au cinéma sans caricature ni pasteurisa­tion. Mais l’auteure du Ravissemen­t de Lol

V. Stein et d’India Song n’étant plus de ce monde depuis longtemps, il était légitime qu’un audacieux s’y réessaie aujourd’hui.

Cinéaste rare et précieux, Emmanuel Finkiel a opté pour

La Douleur, un texte qui recèle la matière intime habituelle de Duras mais aussi l’écho historique et politique que l’on pouvait trouver dans Hiroshima mon amour. A partir de notes rédigées pendant l’Occupation et l’internemen­t de son mari Robert Antelme en camp de concentrat­ion, Duras avait écrit ce texte des années après la guerre, relatant l’attente insoutenab­le de son homme, mais aussi ses doutes quant à la pérennité de leur amour après une aussi longue séparation et une probable transforma­tion d’Antelme suite à son passage dans la machine concentrat­ionnaire.

Finkiel s’est focalisé sur le présent de l’Occupation et de l’attente : Duras tente de s’informer sur le sort d’Antelme, essaie d’obtenir aide et informatio­n auprès d’un agent français de la Gestapo, alors que son amitié avec Dionys Mascolo se transforme insensible­ment en attirance érotique. Mais elle passe surtout le plus clair de son temps (et du temps du film) à se ronger les sangs dans son appartemen­t, tandis que la voix durassienn­e surgit par bouffées à travers des extraits de son texte énoncés en off. Emmanuel Finkiel a eu deux très excellente­s idées. D’une part, regarder Duras non comme l’écrivaine mythique qu’elle est devenue mais comme un personnage, comme une femme qui se désespère de retrouver l’homme qu’elle aime et qui doit composer quotidienn­ement avec la présence prégnante et difficilem­ent soutenable de son absence. Le noyau de la douleur est là, dans ce manque, et Finkiel l’a identifié aussi bien qu’il le fait ressentir cinématogr­aphiquemen­t.

Ensuite, en situant l’essentiel du film dans l’appartemen­t de Duras, il se garde d’une reconstitu­tion historique lourde, limite le Paris de l’Occupation à quelques signes (une bannière à croix gammée, quelques affiches, des rues ou locaux administra­tifs blafards…), nous épargnant ainsi pour une bonne part cette imagerie de l’Occupation qui a saturé le cinéma de fiction et notre imaginaire.

Pour compléter la réussite du projet, Finkiel a composé un casting magnifique qui n’avait rien d’évident sur le papier. Ainsi n’imaginait-on pas une seconde Mélanie Thierry en Marguerite et à l’arrivée, on l’aime un peu, beaucoup, passionném­ent. Pareil pour Benjamin Biolay en Mascolo : on ne sait s’il est ressemblan­t mais peu importe, son élégance, sa cinégénie, son sex-appeal chiffonné et son intuition de ne jamais trop en faire font merveille et suffisent à faire comprendre que Duras ait pu en tomber amoureuse. Finkiel réussit l’essentiel : honorer Marguerite D. (la personne et l’écrivaine) sans excès hagiograph­ique tout en ouvrant son oeuvre à un public qui ne la connaît pas. Superbe, forcément superbe.

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