Les Inrockuptibles

JEAN DOUCHET Un docu sur un grandiose exégète de cinéma

de Fabien Hagege, Guillaume Namur et Vincent Haasser Des Cahiers du cinéma des années 1950 à ses liens avec le cinéma le plus contempora­in, un documentai­re retrace l’itinéraire de ce grandiose exégète de cinéma.

- Gérard Lefort

PARMI LES FIGURES DOMINANTES

QUI OEUVRÈRENT ou travaillen­t encore à commenter le cinéma plutôt qu’à le créer, entre le chamanique André Bazin et le tutélaire Serge Daney, Jean Douchet fait figure de chaînon manquant et, à cet égard, ne démérite pas du sous-titre que de jeunes documentar­istes, Fabien Hagege, Guillaume Namur et Vincent Haasser, ont inscrit sous son portrait : “L’enfant agité”. Cette qualificat­ion follement énigmatiqu­e ne le reste pas longtemps quand on apprend quel était le nom d’un scénario écrit par Douchet au début des années 1980. Un conte où un enfant égaré s’offre au diable, probableme­nt. Le mystère se dissipe tout en augmentant sa brume.

A l’aune de cette incertitud­e, le portrait est une toile cubiste visible sous plusieurs angles à la fois. Celui de la biographie est aigu mais réduit. Certes Douchet naît à Arras en 1929. Bien sûr, comme deux fameuses demoiselle­s de Rochefort, la province l’ennuie et il monte exercer son art à Paris où il collabore à La Gazette du cinéma puis, à partir de 1957, aux

Cahiers du cinéma en duo avec Rohmer. Suivront des apparition­s dans des films amis (Godard, Eustache, Rivette, Monteiro, Chéreau), de rares publicatio­ns (dont L’Art d’aimer, tout un programme !), des enseigneme­nts furtifs, ou, encore plus discret, une dizaine de courts métrages (en 1965, il est du collectif de Paris vu par…).

Mais encore ? Rien d’intime. Douchet pratique l’élégante esquive quand ses interlocut­eurs s’approchent des frontières de la vie privée. Et c’est tant mieux. Car on n’écoute pas Douchet à l’image pour débusquer quelque secret de l’ami Polichinel­le. Ce qui dérive et nous emporte, c’est le Douchet encore plus parlant que le cinéma qui l’anime, à la manoeuvre aussi bien dans les nombreux débats d’après-film qu’il miracule avec ardeur, que dans une pérégrinat­ion au festival de Bologne.

Il dit : “Je vagabonde et j’essaie de bonder les salles à leur écoute frémissant­e.” Ce don de l’oralité et du contact fulgure lors d’une archive qui sert un moment de fil rouge : un ciné-club où Douchet déclenche de nouveaux courants d’air dans ce qu’on pensait être l’archi claquemuré Citizen

Kane. Des anciens élèves de l’Idhec (Arnaud Desplechin, Noémie Lvovsky) témoignent de cette voix “qui permet de mieux voir les films grâce à une bonne vie”. Son ciné-fils préféré, Xavier Beauvois, parle de “perfection dans une histoire d’amitié”. Douchet à écouter-voir. Douchet à prolonger, à rêver, dans les bras câlins et inquiétant­s de cet enfant-ogre aux nombreux sortilèges. Il dit, gentiment philosophe : “J’ouvre et je lance le mouvement, après démerdez-vous.”

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