ET DIEU NE PESAIT PAS LOURD… Un monologue où les mots de la folie sont ceux de la lucidité
Ils sont en colère contre ce monde tel qu’il va ! L’un, DIEUDONNÉ NIANGOUNA, écrit, l’autre, FRÉDÉRIC FISBACH, joue. Un monologue échevelé où les mots de la folie sont ceux de la lucidité.
ON LE TIENT, LE DIAMANT NOIR DE CE DÉBUT D’ANNÉE 2018. Un joyau qui tient à la fois de l’écriture éruptive et splendide de Dieudonné Niangouna et de l’interprétation hallucinée, jeu et mise en scène enchâssés, de Frédéric Fisbach. Qui est Anton, cet homme qui nous parle du fond de ses ténèbres, une geôle soit mentale, soit physique, dont on ne sait qui détient la clé. Des jihadistes ? Le FBI ? Le médecin chef d’un hôpital psychiatrique ? Le carcan médicamenteux d’une psychose aiguë ?
On ne le saura jamais, et tant mieux, on préfère de loin les questions qui éveillent la conscience aux réponses qui l’anesthésient. Ce que l’on sait : Frédéric Fisbach a participé au projet de Dieudonné Niangouna, Shéda, créé en 2013 au Festival d’Avignon et répété de longues semaines à Brazzaville. De cette épopée est née une amitié. Et de leurs expériences personnelles – la fin de l’aventure du Centquatre suivie de créations jugées inabouties pour Fisbach ; le retour du Congo en 2014 pour Niangouna, effondré à la perspective de voir SassouNguesso se représenter aux élections –, est né le désir de donner forme à leurs colères respectives.
Tout au long de ce monologue, Anton revient sur son enfance en banlieue, à la fin des années 1960, une époque “où Dieu
ne pesait pas lourd”, son désir de devenir acteur et ses bifurcations en direction
Chaque flèche décochée sur l’état du monde atteint sa cible avec une précision d’horloger
de Seattle puis de l’Afrique, en partant de la Libye. Il digresse. Ressasse. Provoque. Ratiocine, argumente, débloque. Réagit aux impulsions extérieures qui forment le cadre scénographique et dramaturgique où le récit jette ses volutes : néons, sirènes, caméras de surveillance, fumée.
Dans l’oeil du cyclone que constitue le parcours d’Anton,
une figure s’impose, métaphorique et effrayante, Saul Allioun, “l’homme aux mille visages et aux créations musicales dérivées de messages radicaux qui appelaient à la violence, et qui les faisait avoisiner à du latin pour trouver des coïncidences terribles avec la Bible”. Il faisait fureur au Babylon Club. Utilisait sa musique pour envoyer des jeunes au Moyen-Orient et dans le désert d’Afrique.
La traversée du désert d’Anton commence là et ne connaît plus de fin. Mais chaque phrase résonne avec force, chaque flèche décochée sur l’état du monde, de l’Afrique à l’Europe, de la mondialisation au terrorisme, de la démocratie à Dieu, atteint sa cible avec une précision d’horloger. On aime quand la lucidité s’empare des mots de la folie pour torpiller l’effarante normalité d’un monde inhumain peuplé de solitaires frayeurs. La vérité est à ce prix. Ça fait mal, mais ça soulage…