Les Inrockuptibles

Samuel Fuller, l’iconoclast­e

La Cinémathèq­ue française consacre une rétrospect­ive à ce cinéaste controvers­é. Elle est accompagné­e de la sortie de deux livres et d’un documentai­re.

- Vincent Ostria

MAÎTRE DU CINÉMA D’ACTION

MODERNE, Fuller est un des chaînons manquants entre les cinémas américain et européen. Aussi patriote qu’antiracist­e, c’était d’abord un grand storytelle­r. Lorsqu’on le rencontra dans les années 1980 sur un tournage, ce petit homme à l’énergie intacte à 70 ans passés, nous débita à toute berzingue deux ou trois synopsis de films jamais tournés. Son attachemen­t à la vérité, lié à son passé de journalist­e, lui a fait rencontrer pas mal de difficulté­s. En 1951, son troisième film, J’ai vécu

l’enfer de Corée, cause de sérieux remous en montrant l’exécution d’un prisonnier de guerre par l’armée US. Le débat sur Fuller rebondit en Europe en 1953, où Le Port de la drogue, thriller d’espionnage anticommun­iste, déchaîne la presse communiste italienne. Quand le film sort en France, il est censuré : titre et dialogues parlent de drogue alors que dans l’original il est question d’un microfilm. Son oeuvre antiracist­e, Dressé pour tuer, tirée d’un roman de Romain Gary sur la tentative de déprogramm­ation d’un chien conditionn­é à attaquer les Noirs, sera mise à l’index aux Etats-Unis. Outré, Fuller quittera son pays pour la France.

Pour reprendre l’équation de Fuller dans Pierrot le Fou de Godard, le cinéma est un agglomérat d’états et de sentiments extrêmes (amour + haine + action + violence + mort = émotion), qu’il a souvent appliqués simultaném­ent dans son oeuvre, au risque de la cacophonie. C’est éclatant dans un de ses grands films,

Shock Corridor, sur l’enfer psychiatri­que. Cette disparité émotionnel­le transparaî­t dans son style formel : il fait feu de tout bois pour rendre une scène intense et utilise aussi bien le mitraillag­e de gros plans que le plan-séquence. Un effet déstabilis­ant, synonyme de modernité. Virtuose du film noir, auquel il apporte une énergie nouvelle, c’est aussi un grand cinéaste de la guerre. Engagé pendant la Seconde Guerre mondiale, il retrace son expérience dans

Au-delà de la gloire (1980), oeuvre lyrique et froide portée par Lee Marvin, en antihéros impavide. Fuller sera une des grandes influences de la Nouvelle Vague et d’autres cinéastes non affiliés. Une scène de Pickpocket de Robert Bresson s’inspire de la séquence d’ouverture du Port de la drogue. Même un cinéaste étiqueté janséniste ne pouvait pas être indifféren­t au génie iconoclast­e de Fuller. Rétrospect­ive Samuel Fuller Jusqu’au 15 février, Cinémathèq­ue française, Paris XIIe Samuel Fuller : un homme à fables de Jean Narboni (Ed. Capricci), 160 p., 18 € Samuel Fuller – Le choc et la caresse ouvrage collectif (Yellow Now), 352 p., 38 €

A Fuller Life Documentai­re de Samantha Fuller (E.-U., 2013, 1 h 20), en salle

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Shock Corridor, 1963

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