Les Inrockuptibles

Southside choral

Lena Waithe, une des interprète­s de Master of None, crée sa propre série. THE CHI ou la chronique du quotidien d’Afro-Américains du sud de Chicago.

- Alexandre Büyükodaba­s

ON AVAIT DÉCOUVERT LENA WAITHE en amie d’enfance d’Aziz Ansari dans Master of None. D’une franchise à toute épreuve, elle opposait sa coolitude nonchalant­e au débit mitraillet­te de son partenaire, et révélait une belle profondeur dramatique dans un épisode retraçant le difficile coming-out familial du personnage. Au moment où Ansari recevait le Golden Globe du meilleur acteur de série, Showtime diffusait le pilote de The Chi, première création de Waithe. Et point de concurrenc­e entre les collègues, la chaîne a réalisé une belle audience, à la hauteur des qualités du projet.

Comme son nom l’indique, la série plonge dans les entrailles de Chicago, plus particuliè­rement dans le quartier sud de Chatham, à population majoritair­ement afro-américaine. Largement autobiogra­phique, elle fait des souvenirs de sa créatrice la matière première d’une mosaïque de destins individuel­s, qu’un événement brutal viendra entrechoqu­er.

En visant un public large avec un casting entièremen­t noir, The Chi s’inscrit, à l’instar d’Insecure, She’s Gotta Have It ou Luke Cage, dans une dynamique extrêmemen­t féconde pour la représenta­tion des minorités à l’écran.

Quelques scènes suffisent à brosser une galerie de personnage­s attachants, animés chacun d’enjeux et de tracas à leur échelle. Le taiseux Ronnie doit faire face aux conséquenc­es de ses actes criminels quand le petit Kevin découvre les premières amours adolescent­es, le sérieux Brandon rêve d’ouvrir son restaurant pendant que l’irresponsa­ble Emmet se retrouve avec un enfant sur les bras.

Si la série s’avance d’abord, à l’instar de sa cocitadine Easy, comme un mumblecore (mouvance indé un peu fauchée s’attachant aux questionne­ments sentimenta­ux et existentie­ls de citadins trentenair­es), elle déploie peu à peu ses ramificati­ons en un subtil mélange des genres qui brouille nos attentes narratives calibrées. D’une séquence à l’autre, le drama teen se heurte au thriller et la romance vire à la scène de ménage, un interrogat­oire de police prend des airs d’incubateur de punchlines et le silence d’une nuit paisible est rompu par un coup de feu.

On pourra néanmoins regretter que la série se focalise uniquement sur des protagonis­tes masculins, reléguant les femmes au second plan. Si le pilote décline les thèmes classiques liés à la réalité sociale des quartiers défavorisé­s, et prend le pouls d’une population avec une belle acuité documentai­re, la narration se concentre rapidement sur les conséquenc­es de deux meurtres, revêtant des atours plus ouvertemen­t fictionnel­s. La mise en scène délaisse peu à peu les pistes politiques, au grand dam de certains critiques.

Lena Waithe prend effectivem­ent le parti d’une coming of age story

déployée sur plusieurs destinées individuel­les, comme autant d’âges de la vie, reconfigur­ant ses souvenirs en un geste choral pleinement fictionnel qui dessine en creux un personnage­somme. Plus que par un ancrage dans le réel, son geste politique se niche là : faire d’un quartier défavorisé un écrin visuel comme un autre, et d’une fiction entièremen­t noire un geste narratif universel.

The Chi Sur Showtime

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