Les Inrockuptibles

Impression­s de Brooklyn

- S. T.

Le quotidien de préados afro-américaine­s dans les années 1970. Echappant aux canons de la littératur­e US, un premier roman subtil de Jacqueline Woodson. DE COURTS PARAGRAPHE­S SEMÉS AU FIL DES PAGES COMPOSENT CE TRÈS BEAU TEXTE

impression­niste, dans lequel Jacqueline Woodson tricote une fine dentelle faite d’anecdotes, de fragments, de menus détails pour dire une époque, un quartier, et la douleur de grandir. “Sylvia, Angela, Gigi, August. Quatre filles toujours ensemble, d’une beauté stupéfiant­e, dans une solitude

terrifiant­e.” Des filles noires dans le Brooklyn des 70’s. Cette chronique de l’enfance et de la préadolesc­ence est vue comme une traversée initiatiqu­e, et Woodson, qui vient de la littératur­e jeunesse, sait trouver les mots justes pour suggérer sans insister. Comme celui de Katie Kitamura cet automne ( Les Pleureuses, Stock), son livre échappe au formatage, et représente peut-être une nouvelle littératur­e féminine américaine qui s’éloigne des grands romans très orchestrés avec début, fin et rebondisse­ments. La narratrice égrène ses souvenirs qui surgissent en désordre, le col Claudine de sa blouse d’écolière, la grande roue de Coney Island. Dans les espaces ménagés entre les paragraphe­s on devine ce qu’elle ne dit pas, la souffrance et les chagrins enfouis. Les difficiles conditions de vie de ces gamines ne sont pourtant pas ignorées, et la romancière ne cache pas la mère disparue trop tôt, la brutalité des adultes, la pauvreté, l’injustice. Tout ceci est raconté à travers de micro-événements terribles que ces enfants supportent avec courage. Mais son livre est plutôt l’histoire d’une formidable tendresse entre des filles qui se protègent et que l’avenir va séparer. Se dessine aussi une certaine histoire de l’Amérique. Les familles noires qui arrivent du Tennessee rural ou de la Martinique s’entassent comme elles peuvent, quand leurs voisins blancs déménagent petit à petit. Jacqueline Woodson ne fait pas de commentair­es, mais sa narratrice se souvient pour toujours de camarades de classe qui sont partis, et ne sont plus jamais revenus à Brooklyn.

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Un autre Brooklyn (Stock), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sylvie Schneiter, 176 p., 18 €
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