Les Inrockuptibles

UNE STAR ENFIN ÉTOILÉE

Menu unique, attitude rock’n’roll, cuisine d’auteur, IÑAKI AIZPITARTE a influencé toute une génération de chefs. Le Michelin vient de lui décerner une étoile, douze ans après l’ouverture de son Chateaubri­and.

- Olivier Joyard

DEPUIS LE 5 FÉVRIER, LE SALE GOSSE DE LA CUISINE française travaille derrière les fourneaux d’un restaurant étoilé. Le sien ! Douze ans après l’ouverture du Chateaubri­and – et dix ans trop tard, au bas mot –, Iñaki Aizpitarte reçoit enfin l’aval du Guide rouge, qui n’avait jamais trop goûté ses plats punk et la brutalité subtile de sa cuisine, à base de produits nickel et d’improvisat­ion permanente. Même si ces dernières années, le Parisien d’origine basque a embrassé une certaine maturité et minoré son image de rockstar anti- Top Chef, une forme de tremblemen­t de terre dans le monde réac de la gastronomi­e française se joue avec cette récompense.

“On n’y croyait pas, raconte l’intéressé. En fait, je ne sais pas ce que ça représente. Quand on étudie dans des écoles, on côtoie des gens qui travaillen­t dans les étoilés, on parle de cet univers. Mais ça ne faisait pas partie de mon histoire.” Iñaki, qui n’a pas assisté à la cérémonie, a du mal à envisager les retombées (notamment économique­s) de ce pouce en l’air. “J’ai fait deux services avec cette étoile et Paris était bloquée par la neige… Ma préoccupat­ion était de savoir si j’allais recevoir les livraisons de poisson à temps pour le service, donc j’analyserai l’impact dans quelques mois…”

“Même si ça arrive à ce moment-là, avec quelques trains de retard, justice est faite, note l’agitateur culinaire Andrea Petrini, ex-gourou du World’s 50 Best. Iñaki a été le premier à s’exprimer en auteur dans le cadre d’un bistrot, sans que sa cuisine n’ait rien à voir avec la bistronomi­e de terroir un peu lénifiante du début du siècle. S’ils lui donnent l’étoile pour une belle carte et une belle cuisine, ils n’ont pas compris. C’est autre chose qui se joue. Il déborde du cadre. Il cuisine comme il vit. Le rôle du Chateaubri­and a été majeur et lui a été une matrice, notamment à l’étranger.” Des figures de la food contempora­ine ont exprimé leur dette envers le chef, du Danois Christian Puglisi au New-Yorkais Danny Bowien. En France, la touche Iñaki a décomplexé une génération de quelques années plus jeune que lui – il a 45 ans – menée par Sven Chartier (Saturne) et Bertrand Grébaut (Septime), étoilés avant lui… Une erreur de l’histoire a donc été corrigée. Cette réparation survient juste après la prise de participat­ion du Michelin dans le Guide Fooding, grand défenseur d’Iñaki depuis ses débuts.

Est-ce trop tard ? Si l’explosion de la gastronomi­e cool, en cours depuis le début des années 2010, doit beaucoup à Aizpitarte, d’aucuns pensent qu’un tournant se dessine : trop de pâles copies à base de petites fleurs déposées sur les assiettes, trop de menus imposés aux clients en quête d’une nouvelle liberté. “On est arrivé à un certain conformism­e, confirme Andrea Petrini. Le modèle adoré du menu unique montre ses limites comme langage et moyen d’expression.” Iñaki, lui, reste stoïque : “J’ai toujours eu des doutes sur plein de choses, sauf sur ma conception du restaurant. Je peux comprendre la lassitude, mais je me sens bien dans ce que je fais.” Le Chateaubri­and

129, avenue Parmentier, Paris XIe

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