Les Inrockuptibles

Eloge de l’insécurité

Affranchi de Fat White Family, Saul Adamczewsk­i embarque son vieux pote Ben Romans-Hopcraft dans l’aventure INSECURE MEN. Une virée exotica sublime et toujours aussi crue.

- François Moreau

“TU PEUX DIRE ÇA, QU’INSECURE MEN peut sembler plus lumineux et positif que The Fat White Family et les autres trucs qu’on a fait avant, mais je sais pas, il y a quand même des choses assez sombres malgré l’apparente douceur des mélodies”, marmonne Saul Adamczewsk­i, entre deux renvois. A sa gauche, Ben Romans-Hopcraft, en meilleur état, acquiesce, rajoutant que, de toute façon, Insecure Men est un projet à part entière et qu’il n’est pas nécessaire de faire de parallèles hasardeux. Ben a beau dire, le duo qu’il forme avec son vieux pote édenté est bel et bien une entité hybride, tout droit sortie de la nébuleuse Fat White.

D’un point de vue structurel déjà, puisque c’est un disque produit en famille, écrit et réalisé entre leur repaire du South London et les studios de Sean Lennon, dans la campagne new-yorkaise, avec un Lias Saoudi, leader de la Family, signant la moitié des textes de l’album. Mais aussi et surtout d’un point de vue du potentiel subversif dissimulé derrière les mélopées pseudo-exotica d’Insecure Men. Mettre l’album de Saul et Ben avec un non-anglophone devant un feu de cheminée, c’est comme faire écouter No Legs d’Adam Green à un enfant – où il est question de faire l’amour à une fille sans jambe, pendant qu’elle rampe – pour qu’il s’endorme : tout y est sublime mais dans le fond tout y est grave et chaotique.

Il a longtemps été question de savoir si Saul et toute sa clique étaient des vrais punks, ou si l’industrie musicale était devenue si lisse que le moindre comporteme­nt déviant faisait l’effet d’une nouvelle révolution des moeurs : “Je sais pas si c’est le rock’n’roll qui est devenu chiant ou si le problème n’a pas plutôt à voir avec l’humanité ou quelque chose comme ça”, grommelle Saul, en se marrant devant son jus d’oranges avec la candeur d’un kid ignorant son pouvoir prophétiqu­e.

Sur Mekong Glitter, il nous emmène ainsi en croisière avec Gary Glitter, ancienne star du glam-rock et pédophile récidivist­e, et sonde les bas-fonds de la nature humaine dans une entreprise que l’on aurait tort de prendre comme une tentative de réhabilita­tion.

A l’époque de Champagne Holocaust, de Fat White,

Who Shot Lee Oswald? mettait déjà l’humanité en face d’un miroir pour l’inciter à contempler sa propre laideur : “Aujourd’hui, les gens ont peur de prononcer la phrase qui fâche, alors qu’ils devraient plutôt regarder certaines vérités en face”, baragouine-t-il. Un principe qu’il s’applique évidemment à lui-même, avec un morceau comme Whitney Houston and I dont l’action se situe dans une baignoire et qui revient sur les morts tragiques par overdose de la chanteuse et de sa fille, à quelques mois d’intervalle. Un regard cru et clairvoyan­t, bercé par les langueurs polynésien­nes d’un clavier vintage et la voix apaisée de Saul, rappelant cette phrase de Lester Bangs rendant hommage à son ami Peter Laughner, décédé des suites d’un excès similaire : “Les raisons pour lesquelles j’écris, c’est qu’il y a en moi, et peut-être en vous, plus qu’un peu de ce qui a tué Peter.” Un disque forcément nécessaire.

Album Insecure Men (Fat Possum Records)

Concert Le 24 février à Saint-Malo (La Route du Rock)

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