Les Inrockuptibles

Rien, c’est déjà pas mal

- Gérard Lefort

Avec sa Poétique de l’emploi, NOÉMI LEFEBVRE propose une nouvelle vie mode d’emploi. Drôle comme du Kafka, un récit qui propose de “vivre sans gagner”.

ATTENTION, LIVRE IMPORTANT.

Ou plutôt non : pas “attention”. Foncez sans prévention sur Poétique de l’emploi de Noémi Lefebvre, inconnue au bataillon des écrivains bien écrivant, quoique déjà auteure de trois romans et blogueuse sur Mediapart. Et puis quoi ? Rien.

On ne va pas gâcher du signe à s’engluer dans l’hypothèse funèbre que, “quelque part”, la bio peut expliquer la graphie.

Bref (sic), le livre. Noémi Lefebvre écrit comme on court au cul des idées libres, randonneus­e à fond de train qui aime plus que tout le surplace, les impasses, les chemins détournés et pète-gueule. Qui plus est en hurlant de rire alors que franchemen­t…

Elle lit et relit, souvent la même chose (Kraus, Klemperer, Schiller), en mangeant des bananes et en fumant beaucoup. Elle finira par fumer des bananes.

On pense à Kafka qui faisait rigoler en lisant des extraits de ses livres pourtant kafkaïens. Noémi Lefebvre y pense aussi : “L’humour de Kafka te rend dingue de joie.” Elle sait aussi ce qui vaut la peine d’être su : le réchauffem­ent, désolant même quand on écrit sous la neige, la loi du travail, les magasins qui prodiguent “l’amour de toutes choses”, le parler anglais en français (“Fuck the fake !”), la fascisatio­n de l’espace public et privé, la hausse tendanciel­le du taux de connerie.

Elle sait mais ne comprend pas tout : ni les bouées de sauvetage de la littératur­e hors piste, ni la philosophi­e de son père, ce con de héros mis en piste par des dialogues avec sa fille. “Tu peux toujours bavarder sur le langage, qu’est-ce que ça va changer ?” Comme une bouffée de Guitry, la fille à papa l’admet : “Mon père avait raison. Et en même temps il commençait à me faire vraiment chier.” Or, c’est son mantra, “il faut tout de même pas chier”. Mais ça ne fait pas chier de lire, “tu te mets à penser et parler en dehors de ta langue cultivée, tu ne sais pas ce que tu fais, tu trouves une façon de sentir les idées sans efficacité”. Bonus implacable, il est précisé à propos de cet idéal de l’inutilité : “Ça fait longtemps déjà que les choses inutiles se produisent et se vendent aussi bien que n’importe quelle chose et que les rêves des enfants sont ceux de leurs parents.”

Que reste-t-il au coeur de cette mise à sac salutaire ? Vivre pour vivre, c’est-à-dire “vivre sans gagner”. Poétique de l’emploi est une politique du nonemploi. Oui, politique ! Car il faut tout de même pas chier.

“Mon père avait raison. Et en même temps il commençait à me faire vraiment chier”

Poétique de l’emploi (Verticales), 108 p., 12 €

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France