Les Inrockuptibles

Dis, quand reviendras-tu ?

- Patrick Sourd

Dans J’étais dans ma maison… de JEAN-LUC LAGARCE, le fils pourrait bien ne pas être revenu et sa présence n’être que le fruit de récits. Chloé Dabert retient cette option et entraîne les actrices du Français dans une remarquabl­e pavane.

DES TRANSPAREN­CES DE DENTELLES dignes d’un ouvrage de couture président à la conception de l’étrange apparat qui habille le volume intérieur de la maison où se déroule l’action. Des cloisons et des planchers tendus de voiles translucid­es jusqu’aux surpiqûres en zigzag des volées de l’escalier, tout évoque le blanc laiteux de la passemente­rie et donne à l’ensemble l’allure d’un cocon tissé autour d’une chambre située à l’étage.

Avec les fragilités d’un rêve immaculé, le cadre fantomatiq­ue voulu par Chloé Dabert et son scénograph­e Pierre Nouvel laisse planer le doute sur la réalité d’une constructi­on qui pourrait n’être que mentale. S’agissant de l’écrin où va se jouer J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, la propositio­n spatiale place d’emblée le spectateur en porteà-faux de la trame narrative.

Atteint du sida, Jean-Luc Lagarce se sait condamné. Après Juste la fin du monde (1990) et avant Le Pays lointain (1995), cette pièce, écrite en 1994, occupe la place centrale d’un triptyque qu’il compose sur des variations autour du thème du retour à la maison. Celui d’un fils qui à l’heure de sa fin annoncée revient vers les siens après un long exil. Dans J’étais dans ma maison…, l’auteur choisit de n’évoquer ce retour qu’à travers les récits qu’en font sa grandmère, sa mère et ses trois soeurs, les femmes restées à l’attendre au foyer après la mort d’un père qui l’en avait chassé.

En choisissan­t de cantonner son personnage dans le hors-champ, Jean-Luc Lagarce entrouvre une porte qui permet de s’interroger sur le réel de sa présence. Le garçon est censé se reposer à l’étage, mais Chloé Dabert ne nous donne à voir qu’un lit vide. Aux naturels transports d’émotions causés par une arrivée qui n’était plus espérée, elle préfère faire entendre la partition de chacune comme l’accompliss­ement d’un rituel dédié à celui qui demeure l’éternel absent qui a brisé leur vie. Les gardiens du temple prendront ombrage de cette entorse à l’exégèse en vigueur. Reste la générosité d’un pas de côté dramaturgi­que qui transforme en pur théâtre un affronteme­nt où chacune des vestales défend sa vision imaginée du retour de l’être tant chéri.

En s’affranchis­sant du réalisme de la situation, Chloé Dabert exauce au final un voeu de Jean-Luc Lagarce qui avait imaginé sa pièce comme une pavane. A ce bal des possibles et des vérités alternativ­es, Cécile Brune (La Plus Vieille), Clotilde de Bayser (La Mère), Suliane Brahim (L’Aînée), Jennifer Decker (La Seconde) et Rebecca Marder (La Plus Jeune) sont toutes les cinq formidable­s.

J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Chloé Dabert, avec Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker, Rebecca Marder, jusqu’au 4 mars, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris VIe

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