Les Inrockuptibles

Gonzo avec Gontard

Le secret le mieux gardé du rock français ne fait pas vraiment du rock. Du côté de Valence, Nicolas Gontard et sa bande, en dignes héritiers de Diabologum, collent “un bout de hip-hop et un bout de Pavement, avec ce (qu’ils ont) envie de dire par-dessus”.

- TEXTE Pierre Siankowski PHOTO Boby Allin pour Les Inrockupti­bles

Virée express dans la Drôme, avec le secret le mieux gardé du rock français (qui ne fait pas vraiment du rock)

ON ARRIVE EN GARE DE VALENCE TGV AVEC BOBY ALLIN, DIT BOBICHOUPS, À LA PHOTO. Gontard est venu nous chercher en bagnole. Voilà des années qu’on avait juré au secret le mieux gardé du rock français que nous irions faire un tour sur ses terres valentinoi­ses, en mode commando. On avait rencontré une première fois la bête à Paris, “en vrai”, au lendemain de l’élection de Trump, lors d’un entretien croisé organisé avec Michel Cloup, l’ex-Diabologum. On n’avait pas été déçus, ça vannait dans tous les sens. Fidèle au premier contact, qui avait été numérique : des messages personnels sur Twitter, aussi drôles qu’arrogants. “T’as écouté ma mixtape mec ou quoi ? Qu’est-ce que tu branles putain ?” Ces mixtapes étaient emballées dans des pochettes recyclable­s et cartonnées : Gontard y samplait aussi bien Georges Marchais que George Michael, avec par-dessus des textes entre Debord, Desproges et cette vieille bique de Léo Ferré, en mode talk over. Franchemen­t cool, on voulait voir ce qu’il avait dans le ventre derrière ce masque de lapin chagrin qu’il arbore systématiq­uement sur scène.

Valence TGV, donc. Une vieille dame lui cause. “Non déso, je m’appelle pas François.” Elle s’est trompée la dame, lui c’est Gontard, Nico Gontard. “C’est cool d’être venus ici les gars. Montez dans ma caisse, on va aller retrouver le reste de mon groupe. J’ai plein de vin, on va regarder le match ce soir (Real contre PSG en 8es de finale de la Ligue des Champions – ndlr). Enfin, je vous le dis tout de suite, moi, je suis pour Marseille.” Eh ben ça tombe bien, nous aussi. Je monte derrière, Boby devant. Gontard trace dans sa caisse avec siège bébé à travers la Drôme. C’est sa région. Il a vécu un peu à Grenoble mais chez lui, c’est ici. Là, on va en direction de Romans-sur-Isère, où son groupe répète pour une future carte blanche à la Cité de la musique locale (le 27 avril, il a invité Rodolphe Burger, Lomostatic et les cinglés d’Amour Fou). Gontard rappelle qu’il est de Valence et pas de Romans, hein, “pas de conneries, les mecs”. Il dit que la région, malgré la verdure, a les mêmes statistiqu­es que le 9-3. “Romans-sur-Misère on dit d’ailleurs.”

Quand il n’est pas Gontard, il travaille comme documental­iste dans un lycée profession­nel drômois. Il se décarcasse pour les élèves, enfin pour les jeunes en général. Il fait des prods de rap pour que les gamins qui viennent de partout

“Moi ce que je veux, c’est m’amuser, vivre avec les musiciens qui sont des amis, car c’est une richesse, ça donne une autre couleur, ça bouge, ça métisse”

NICOLAS GONTARD

dans le monde puissent rapper desssus, dans le cadre de projets scolaires. “J’ai des jeunes réfugiés qui rappent en syrien, en peul.” Il se définit comme un type engagé, Gontard, même s’il nous mitraille de vannes. “L’engagement, c’est important pour moi. On est arrivé au bout du bout. Moi, j’ai pas mal théorisé sur l’échec, un peu comme François Bayrou : je suis fort pour dire ce qui va pas. Et puis un jour on se dit, qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce que je peux faire ? Comment allier révolution intime et révolution politique ? Depuis quelques mois, je vois des gens qui me font envie, comme François Ruffin. Alors s’engager, c’est pour tout ! J’ai pas envie de voir mes proches crever dans des hôpitaux pourris, je veux qu’ils puissent apprendre toutes les langues qu’ils veulent, lire des romans passionnan­ts, écouter des disques géniaux. Alors pour ça, même si ça paraît ringard pour certains, alors que ça ne l’est pas, il faut s’engager, oui : dans les écoles, des assos, dans des MJC, monter des collectifs. Etre présent. Présence, présence, présence !”

Il martèle ça Gontard, alors qu’il gare la voiture sur le parking de la Cité de la musique de Romans.

On pénètre dans la salle, le groupe joue sans Gontard. A la batterie, Clément Michel. A la basse, Noel “Bingo” Belmondo. Le clavier, c’est Ray Borneo, par ailleurs tenancier du chouette label Petrol Chips. A la guitare et au sax, Morzini. Aux lights, une fidèle amie venue donner un coup de main, Emilie. C’est la famille Gontard mais avant toute chose on va déjeuner au restau de la Cité de la musique. Au menu : sauté de veau aux olives et sa polenta crémeuse, plus du vin. On rit beaucoup, on parle de rock indé, des Silvers Jews, de Dominique A, quelqu’un dit qu’il a découvert Fort Boyard il y a deux ans, quelqu’un d’autre raconte des anecdotes sur Eliane Wauquiez, la mère de Laurent Wauquiez, qui est du coin, ça fait des blagues, ça revient sur le rock indé, Swell, Miossec et d’autres, l’ambiance est excellente.

On sort fumer une cigarette au milieu des enfants qui jouent au foot. Gontard explique : “Gontard, c’est aussi une bande de musiciens. L’ambition, elle est là. Au début, je tournais seul et je me faisais chier, c’était d’une tristesse abyssale. Aujourd’hui, l’industrie de la musique, elle te dit que si tu veux gagner du blé, il faut tourner seul. Moi ce que je veux c’est pas ça, c’est m’amuser, vivre avec les musiciens qui sont des amis, car c’est une richesse, ça donne une autre couleur, ça bouge, ça métisse.”

L’après-midi sera consacré aux répétition­s. Boby Allin shoote sur la scène, se fond dans la masse. On écoute Gontard jouer son dernier album pour nous tout seul. Le disque s’appelle

Tout naît/Tout s’achève dans un disque.

Il est excellent, digne successeur de Repeupler, à la fois drôle et héroïque, lumineux et politique, à pleurer de rire parfois. Au départ, quand on entendait ses mixtapes, on fantasmait Gontard comme une sorte de mec fasciné par la clique des disques Constellat­ion de Montréal, l’héritage Diabologum et le hip-hop bien sûr. Il entend, il comprend, mais pour lui la vérité est ailleurs. On le laisse nous dire : “Autour de Gontard, on retrouve beaucoup de choses. J’ai des tonnes de disques, c’est dur de résumer. Mais dans un pot commun je mettrais beaucoup de rap US, plus évidemment du Cure et du Joy Division, du Léo Ferré et, pour finir, de la musique créole.Tout ça ensemble. C’est pour ça que je me sens bien sur le label Ici d’ailleurs.”

Les répétition­s finies, on file faire des photos avec Boby sur le parking d’un hôtel désaffecté entre Romans et Valence. Gontard chausse son masque de lapin, les oreilles nous rappellent celle du kid de Gummo. Pendant que Boby shoote, Nico nous parle. Il nous raconte son évolution musicale, depuis qu’il a monté il y a quelques années le groupe Les Frères Nubück, avec son frangin aujourd’hui à la tête de Chevalrex, autre groupe de Valence. “Quand j’étais jeune, je samplais des phases de vinyles de soul de mon père, en mettant par-dessus des poèmes que je dédiais à mes petites copines. Gontard c’est la même idée, découper des morceaux de musique et mettre des textes par-dessus. Au début, j’ai commencé en faisant des mixtapes sur ce principe. Et même si je bosse avec des musiciens aujourd’hui, la démarche est la même, découper des morceaux de musique et les coller ensemble : un bout de hip-hop et un bout de Pavement, avec ce que j’ai envie de dire par-dessus.”

Le résultat, à découvrir absolument sur scène ou dans le dernier album de Gontard, est souvent bouleversa­nt. Dans ses paroles, notre homme de Valence mélange les mots d’amour et les considérat­ions néositu, le spleen et l’idéal, le réel et le possible, tacle Arcade Fire et célèbre la révolte. C’est beau comme du Calaferte filmé par Joël Séria et joué par un orchestre rebelle, c’est souvent drôle aussi. Après la session photo, on traîne dans les rues de Valence, on aide une vieille dame qui ressemble à Marguerite Duras à porter ses courses, on passe chemin du Thon, une vraie rue, on parle de Whitney Houston et de Cantona. Puis on part en direction des Locaux Rock, la salle de Valence qui a vu éclore les gloires locales que sont Dionysos ou H-Burns.

Gontard vient checker un groupe qu’il va produire : Jean-Michel Jarret, trois filles qui jouent de la riot pop. Tout le monde le connaît ici. A Valence, le type est un activiste. Son nom se trouve sur des dizaines d’affiches de concert. Ses commentair­es sur des tracts.

On boit du vin, on cherche le nom d’un handballeu­r français dont la photo est au mur. On le trouvera au bout de dix minutes : Philippe Gardent, originaire du coin, pivot des Barjots.

La nuit tombée, on file chez Gontard, où il a donné rendez-vous à tout le groupe. Son appartemen­t est truffé de livres, de disques. Noel “Bingo” Belmondo sert des gin to’ avec du combava dedans. Sans le son défile Real-PSG, avec en surimpress­ion sonore les Clash, le Wu-Tang ou Niagara. Au sein du groupe Gontard, ça discute ferme. “Qui a produit cet album ?” “Tu te souviens de ce titre ?” Ray Borneo est assis au calme. Emilie, la pote fidèle, parle de Minneapoli­s. Clément Michel coupe du serrano et cherche le nom d’un groupe de disco qui passe au même moment. On sent derrière Nico Gontard une vraie force collective. Celle qui le pousse, avec cette bande, à traverser la France, à tourner des clips sur la route comme récemment à Verdun. “Nico, c’est une locomotive”, dit “Bingo” Belmondo. Gontard s’amuse, on discute un peu avec lui sur le balcon : “Ce que j’aime, c’est la liberté que m’autorise Gontard. L’album s’appelle Tout naît/Tout s’achève dans un disque pour ça : c’est un truc hédoniste. On en a bouffé des disques, des bons et des pas bons, et même avec ma voix de chanteur neurasthén­ique, je vais vous faire exploser les trucs, à ma façon, et ça va tourbillon­ner. C’est gamin, c’est guerrier aussi.”

Gamin, guerrier, c’est comme ça qu’on aime Gontard. La soirée se finira tard, la journée dans son ensemble fut passionnan­te et sera venue confirmer ce que nous pensions : même si sa musique est plus que du rock, Gontard est le secret le mieux gardé du rock français.

Tout naît/Tout s’achève dans un disque (Ici d’ailleurs)

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