Les Inrockuptibles

Architectu­re

- Texte Simon Clair

La Villa Noailles consacre deux expos aux piscines privées, marqueurs culturels, économique­s et écologique­s

Avec deux exposition­s consacrées aux PISCINES PRIVÉES, la Villa Noailles se plonge dans l’histoire d’un élément architectu­ral singulier qui n’a cessé d’évoluer au fil du temps. Au point de devenir un marqueur culturel, économique et écologique.

TOUT A COMMENCÉ PAR

UNE PHOTO. PRISE EN 1976 par la célèbre artiste belge Martine Franck, cette image devenue culte montre des baigneurs en maillot de bain, la peau brunie par le soleil, étendus sur un hamac ou directemen­t sur des carreaux de faïence blanche. Et une piscine, qu’on devine à peine, dans un coin du cadre. Suffisamme­nt tout de même pour attiser la curiosité de la Villa Noailles, à Hyères, qui après s’être intéressée aux skateparks et aux boîtes de nuit continue son exploratio­n des cultures architectu­rales propres aux lieux de divertisse­ment.

“Pour nous, il semblait évident que cette piscine qu’on aperçoit sur la photo de Martine Franck devait être construite à Miami ou en Californie. Nous n’en revenions pas quand nous avons découvert après quelques recherches qu’elle est en fait située à Six-Fours-les-Plages, à seulement vingt minutes de Hyères”, explique aujourd’hui Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles. Quelques jours plus tard, voilà donc toute une équipe qui frappe à la porte d’Alain Capeillère­s, discret architecte marseillai­s qui a bâti lui-même en 1972 cette somptueuse piscine creusée dans le paysage aride d’une colline et dont le bassin de 25 mètres de long est encore bordé par deux imposants palmiers.

Une oasis de faïence dont la Villa Noailles expose jusqu’au 18 mars les formes radicales au travers d’une série de photos et de documents inédits. Mais aussi un point d’entrée idéal vers cet objet architectu­ral singulier qu’est la piscine privée, explorée en parallèle par l’exposition Domestic Pools qui se tient elle aussi sur les hauteurs de la fameuse villa.

UN ENTRE-SOI MIDDLE-CLASS

Il existe peu d’espaces aussi emblématiq­ues du XXe siècle que la piscine privée. D’abord l’apanage des résidences luxueuses dont la Villa Noailles et son bassin intérieur sont un des meilleurs exemples, la piscine privée n’entre réellement dans la domesticit­é que dans les années 1950 en s’installant dans les jardins des banlieues américaine­s en pleine expansion. Avec sa démocratis­ation parmi les classes moyennes, elle gagne dans les années 1960 les faveurs du monde de l’art (chez le peintre David Hockney ou le photograph­e Edward Ruscha par exemple) ou du cinéma ( La Piscine de Jacques Deray ou Le Plongeon de Frank Perry).

“Dans l’exposition, on s’intéresse à la manière dont cette nouvelle pièce apparaît dans l’habitation et à la façon dont elle crée des rituels sociaux qui lui sont propres comme les pool parties ou les poolside gossips. Il y a alors tout un imaginaire de la piscine qui s’installe et qui est relayé par les artistes”, commente le commissair­e d’exposition Sébastien Martinez Barat.

En 1962, on compte déjà plus de 23 000 piscines privées dans les zones pavillonna­ires américaine­s et les clubs de piscine qui se créent entre riverains sont autant de moyens de sociabilis­er que de s’assurer de rester dans un entre-soi blanc et middle-class. Au fil des années, des bassins de toutes les formes se construise­nt partout dans le monde. C’est d’ailleurs ce que souligne l’expo Domestic Pools qui présente des approches radicaleme­nt différente­s dans la constructi­on des piscines, allant par exemple de la douceur de vivre des oasis dessinées par Albert Frey dans le désert californie­n en 1946 jusqu’à la brutalité bétonnée réalisée par Ensamble Studio à la Casa Hemeroscop­ium en Espagne.

La diversité. C’est bien ce qui ressort de cette exposition où les formes, les matériaux et les contextes ne sont jamais les mêmes d’un projet à l’autre. Même chose pour les usages qui ne cessent de fluctuer. “La piscine est un élément étrange. C’est à la fois un trou dans le sol, une cavité et aussi un récipient.

C’est entre la géographie et le design. Pour s’y retrouver, nous avons donc décidé d’établir quatre figures qui sont des archétypes de piscine”, reprend Sébastien Martinez Barat.

On retrouve donc l’étang, “une sorte de métaphore paysagère qui renvoie à une compréhens­ion naturelle de l’étendue d’eau”. Mais aussi la pièce d’eau : “une pièce qui rentre dans la maison comme les autres mais qui est remplie d’eau.” La figure de la citerne : “une approche beaucoup plus pragmatiqu­e basée sur la mesure, la températur­e, le volume d’eau, etc.” Et enfin celle du vase, c’est-à-dire “une piscine dans laquelle on ne se baigne pas mais que l’on contemple et dans laquelle l’architectu­re se miroite. C’est presque une vanité”.

UTOPIES AQUATIQUES

Une topographi­e dont certains architecte­s arrivent même à repousser les limites, comme sur un projet de Manuel Aires Mateus construit à Montemor-o-Novo

“La forme archétypal­e qu’on a connue au XXe siècle va petit à petit disparaîtr­e et trouver une forme plus proche du design, de l’objet ou de l’accessoire”

SÉBASTIEN MARTINEZ BARAT, COMMISSAIR­E D’EXPO

au Portugal. Là, la piscine n’est finalement plus qu’une immense flaque, sans bassin ni élément de décor. Le liquide se déverse seulement sur une dalle de béton faussement plate, donnant à voir un tracé de l’eau changeant selon la météo. Comme un dépassemen­t du modèle de la piscine.

Domestic Pools pose en effet la question de la piscine privée comme objet architectu­ral, mais aussi de son avenir dans un XXIe siècle au contexte bien différent de celui qui a vu naître le phénomène. Car au fil du temps, la piscine n’a cessé d’évoluer. Dans les années 1970, la France a fait le grand plongeon et les ventes ont explosé chez les sociétés spécialisé­es dans le domaine comme Desjoyaux ou Diffazur. Partout dans l’Hexagone, on rêve d’utopies aquatiques au fond du jardin, portées par des inventions comme le liner (un revêtement PVC garantissa­nt étanchéité et prix abordable) ou par des publicités télévisées qui n’ont pas peur des stéréotype­s. “Ces spots télé correspond­ent à l’explosion du marché en France. On y voit une représenta­tion des corps basée sur des hommes virils et des femmes féminines. C’est amusant de voir ces pubs aujourd’hui et le décalage de notre regard vis-à-vis de ces clichés”, commente le commissair­e Benjamin Lafore en montrant une télévision qui diffuse ces vidéos au charme désuet. Car la société a changé depuis la fin des années 1970. Et à l’heure d’une crise autant économique qu’écologique, le principe de piscine correspond-il vraiment à notre mode de vie ? Peut-être pas.

UNE ÉTUDE DES BAINS VERTICAUX

Il faut en tout cas reconnaîtr­e que les bassins n’ont jamais été aussi petits. En 1980, la taille moyenne d’une piscine était de 13 mètres sur 6. “Aujourd’hui, la moitié des bassins que l’on vend font 10 mètres carrés ou moins. C’est donc vraiment devenu un bassin d’agrément”, détaille Arthur Choux, codirigean­t de Piscinelle, une entreprise spécialisé­e dans les piscines écologique­s en bois. Sébastien Martinez Barat acquiesce : “On peut supposer que la piscine sous la forme archétypal­e qu’on a connue au XXe siècle va petit à petit disparaîtr­e et trouver une forme plus proche du design, de l’objet ou de l’accessoire. C’est assez intéressan­t de voir qu’on commence avec des piscines monumental­es comme celle de la Villa Noailles pour aller vers quelque chose qui est de plus en plus proche du vase ou du récipient.”

Comme pour immortalis­er une espèce en voie d’extinction, le photograph­e Eric Tabuchi a donc signé une série d’images intitulée Douze piscines verticales qui pose un regard presque archiviste sur ces immenses piscines promotionn­elles aux formes complexes présentées verticalem­ent sur le bord des routes françaises. Croisé au détour de l’exposition à Hyères, le photograph­e ne peut s’empêcher de boucler la boucle en soulignant une situation cocasse.

“Ce qui me frappe ici, c’est qu’on est si proche de la mer Méditerran­ée et qu’il y a tant de piscines. Pour moi, la Méditerran­ée est la piscine absolue, sa version idéale, son modèle d’origine.

Elle est bien plus parfaite. Il y a dans l’idée de piscine quelque chose de l’ordre de l’appropriat­ion. Comme chez

Alain Capeillère­s, toutes ces stratégies de constructi­on de piscine ne sont finalement qu’une manière de prendre un morceau de Méditerran­ée pour le mettre dans son jardin.”

Exposition­s Domestic Pools et

Alain Capeillère­s, la piscine, jusqu’au 18 mars à la Villa Noailles, Hyères

 ??  ?? Raymond Loewy House, d’Albert Frey, Palm Springs
Raymond Loewy House, d’Albert Frey, Palm Springs
 ??  ?? Casa Hemeroscop­ium d’Ensamble Studio, Madrid
Casa Hemeroscop­ium d’Ensamble Studio, Madrid
 ??  ?? Hand House, projet non réalisé d’Andreas Angelidaki­s
Hand House, projet non réalisé d’Andreas Angelidaki­s
 ??  ?? La piscine réalisée par Alain Capeillère­s à Six-Foursles-Plages, dans le Var
La piscine réalisée par Alain Capeillère­s à Six-Foursles-Plages, dans le Var
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