Les Inrockuptibles

“Les femmes vont ouvrir leur gueule, quelle bonne nouvelle !”

- Propos recueillis par I. B., O. J. et F. M.

Axelle Ropert est cinéaste. Elle a réalisé La Famille Wolberg (2009), Tirez la langue mademoisel­le (2012) et La Prunelle de mes yeux (2016).

Quelle a été ta réaction devant l’ampleur de l’affaire Weinstein et de ses suites ? Axelle Ropert — Je n’ai pas été surprise par les agissement­s de Weinstein, mais très secouée par sa puissance révélatric­e d’un système de merde. Trois choses m’ont vraiment secouée. D’abord, la perversité d’un système où même des gens qui ne sont pas des salauds sont capables de se taire pour couvrir de sales agissement­s, un système de responsabi­lité collective défaillant­e… Ça a révélé aussi que le rapport homme/femme, que l’on croyait devenu plus ou moins civilisé après des décennies de luttes, était dans le fond aussi violent et structuran­t que le

En prônant la grande rigueur intellectu­elle, assortie de la liberté pour tous de se faire son propre jugement ! La grande rigueur, c’est examiner au cas par cas les “affaires”, et s’en tenir à un principe : zéro interdicti­on. Par exemple, les cas Brisseau, Polanski, Allen ou Bertolucci n’ont rien à voir, et tous les oukazes ou au contraire toutes les amnisties données d’office pensent mal les choses, selon moi. On doit rester dans une agora. Que les films de “salauds” restent absolument visibles, qu’on programme Polanski ou Brisseau, mais qu’on laisse les opposantes s’exprimer sans les rembarrer… Pour ce qui est du réexamen des films à l’aune de l’affaire Weinstein, j’ai été frappée, à la parution du texte de Laure Murat sur Blow-up, par la salve de tirs purement épidermiqu­es sur le mode “Pas touche à mon grand cinéaste”. Pour moi, on peut tout revoir et discuter de tout… Mais j’ai le sentiment que “l’alerte idéologiqu­e” doit se combiner avec la sensibilit­é cinéphiliq­ue : ce sont ceux et celles qui sont très sensibles à la question de l’art qui sauront le mieux se prêter à ce genre d’analyse. Je donne un exemple. Comment on filme le viol ? Pourquoi c’est dégueulass­e dans Les Chiens de paille de Peckinpah, pourquoi c’est passionnan­t dans Outrage d’Ida Lupino ? Comment argumenter là-dessus ? Avec une boussole cinéphiliq­ue… Cette boussole est la plus équitable dans sa manière de penser le cinéma dans ses subtilités et ses paradoxes.

La sororité est-elle possible dans le cinéma français, comme elle se structure en ce moment aux Etats-Unis ?

Je n’aime pas ce concept de “sororité”, qui renvoie à la “souffrance” et à l’“assignatio­n aux origines”… C’est justement parce que les sales cons nous voient comme des proies par essence qu’ils se permettent d’agir comme ils agissent, donc je ne veux pas seulement militer car “je suis une femme” et que “j’ai souffert”… Ne soyons pas les victimes prévisible­s que nos ennemis rêvent de combattre, car alors ils gagneront la guerre… La colère doit être le moteur, assortie d’une obsession politisée : l’égalité des droits. Mais la “solidarité offensive”, oui ! Dans la “tribune Deneuve” du Monde (texte signé par cent femmes, dont l’actrice – ndlr), ce qui était odieux, outre la confusion intellectu­elle des propos, c’était aussi l’affirmatio­n d’un égocentris­me féminin sur le mode : “Rien à foutre des autres femmes, pour moi tout va bien…” Oui, la solidarité, c’est possible, et ça va arriver.

Newspapers in French

Newspapers from France