Les Inrockuptibles

UNE Vie VIOLENTE

Figure d’un cinéma de genre détraqué, l’actrice ROSE MCGOWAN a dénoncé avec d’autres femmes les abus sexuels présumés d’Harvey Weinstein. Elle publie le féroce Debout, y évoquant son enfance, sa dépression et la broyeuse Hollywood.

- TEXTE Clémentine Gallot

DANS LE SILLAGE DE LA VAGUE DE RÉVÉLATION­S #METOO D’OCTOBRE, ROSE MCGOWAN a logiquemen­t élu le format autobiogra­phique pour régler ses comptes. A 44 ans, la comédienne américaine publie, à la veille des oscars, Debout, ouvrage mêlant habile stratégie marketing et authentiqu­e reconquête de soi, accompagné­e par l’enregistre­ment d’un album et le documentai­re Citizen Rose aux Etats-Unis.

Avant sa conversion tardive en féministe militante et porte-parole des victimes de harcèlemen­t, Rose McGowan a d’abord été une figure trouble du cinéma bis. Le cinéaste Gregg Araki la trouve raccord avec le nihilisme déréglé de The Doom Generation (1995). Dans le slasher de Wes Craven Scream (1996), elle finit broyée par une porte de garage. Après un passage dans la série Charmed, elle est affublée d’une mitrailleu­se en guise de jambe dans Planète Terreur (2007) de Robert Rodriguez, qui accompagne la sortie de Boulevard de la mort de Quentin Tarantino. Tombée en disgrâce ces dernières années, l’actrice s’est éloignée d’Hollywood, qui la juge trop sulfureuse.

“Harvey Weinstein aura été le pire cauchemar de Rose McGowan (…).

Vingt ans plus tard, elle est devenue le sien”, s’émeut Vanity Fair. Avant l’enquête du NewYork Times qui la cite, la comédienne faisait déjà référence aux agissement­s présumés du producteur tout-puissant de Miramax sur son compte Twitter.

Un chapitre de Debout est consacré au “monstre”, jamais nommé. Passage crucial que la presse n’a pas le droit de citer.

L’ouvrage révèle ainsi des détails esquissé dans l’enquête. En 1997, à

23 ans, Rose McGowan aurait été violée par Weinstein lors du festival de Sundance. Son producteur sollicitan­t un rendezvous dans sa chambre d’hôtel avant de l’entraîner dans le jacuzzi et de lui imposer un cunnilingu­s. Pétrifiée, la jeune comédienne aurait feint l’orgasme afin de pouvoir prendre la fuite. Sa manager lui expliquera qu’il s’agit d’une opportunit­é à saisir – celle-ci s’est depuis suicidée, en février. Tétanisée, McGowan ne portera pas plainte, mais un accord financier de 100 000 dollars est passé entre les deux parties avec une clause de confidenti­alité. Elle s’inquiétera ensuite d’être blacklisté­e. Si les faits dont elle accuse Harvey Weinstein sont prescrits, celui-ci continue de nier vigoureuse­ment.

A partir de cet épisode fondateur, Rose McGowan déroule sa vie comme une longue série d’abus cumulatifs. Il y a d’abord la secte pédophile dans laquelle elle a grandi, Les Enfants de Dieu, communauté d’illuminés dévots installée en Italie. Tandis que le patriarche polygame harangue les foules, l’enfant mendie en haillons. Lorsque la famille finit par s’enfuir, la fillette est ballottée avec ses frères et soeurs aux quatre coins des Etats-Unis. Fuyant un père brutal à Seattle, elle sillonne l’Ouest du pays à 13 ans, seule et camée.

Elle s’installe finalement à L. A. où elle est émancipée à l’âge de 15 ans. Une vie d’errance dont la future comédienne s’extirpe miraculeus­ement, et qui culminera dans sa relation tapageuse avec Marilyn Manson, à la fin des années 1990. Son compagnon suivant, le cinéaste texan Robert Rodriguez, la sadisera, selon elle, sur le tournage de Planète Terreur, jusqu’à la blesser gravement au bras.

A ce parcours sidérant s’ajoute l’éveil politique d’une conscience. La poupée pulpeuse “vendue comme un produit” découvre un milieu misogyne et ultranorma­tif : “La machine hollywoodi­enne a fait de moi le fantasme sexuel ultime”, écrit-elle. Un portrait à charge contre le laisser-faire de l’industrie qui frôlerait le délire complotist­e si les techniques d’intimidati­on mises en place par l’entourage d’Harvey Weinstein n’étaient aujourd’hui avérées. Celui-ci est allé jusqu’à dépêcher une ancienne agent israélienn­e pour espionner l’actrice pendant la rédaction du livre.

Victime d’un incessant slut-shaming médiatique, la comédienne se dit hantée par le trauma et la maladie mentale : dépression, crises d’angoisse…

En signe de protestati­on, McGowan a sacrifié sa longue crinière et se dit désormais missionnée pour arbitrer une immémorial­e guerre des sexes.

Debout (Harper Collins), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thibaud Eliroff, 226 p., 18 €

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