Les Inrockuptibles

Suuns Felt

Secretly Canadian

- Alexis Hache

Toujours aussi impression­nants, les Canadiens font de chaque orage une fête.

IL Y A DANS LA MUSIQUE DE SUUNS un coeur qui bat, un pouls électrique dictant la mesure d’un voyage tout à la fois anxiogène et lumineux. Paradoxe des grands groupes que de parvenir à cet équilibre fragile. Après trois albums majeurs ( Zeroes QC il y a huit ans déjà, Images du futur en 2013 et le sensationn­el Hold/Still en 2016), les quatre Montréalai­s reprennent le cours fascinant de leurs exploratio­ns soniques : quasi-légèreté et insoucianc­e sur le très beau Make It Real, groove saillant à l’extrême sur le contagieux Baseline, lenteur binaire et flippante sur l’insidieux et oppressant After the Fall, qui ferait cauchemard­er un zombie – c’est malsain, mais qu’est-ce que c’est bon.

Depuis leurs débuts, Suuns proposent une musique organique, sans compromis. Ils ne chuchotent pas à nos oreilles, mais à nos tripes, qu’ils caressent à rebroussep­oil. Déconstrui­re pour mieux reconstrui­re, s’inviter dans des mondes parallèles aux climats incertains : le groupe de Ben Shemie et Joe Yarmush en a fait sa spécialité pour évoluer en toute liberté à la croisée du post-punk, de l’electro, de l’art-rock et du

shoegaze. Vous croyez entendre des cloches élégiaques et des oiseaux qui piaillent de bonheur sur Look No Further ? Un beat bulldozer un peu crade vient raser tout ça pour vous rappeler à l’ordre. Vous voulez goûter l’extatique sentiment du corps désarticul­é s’abandonnan­t tout entier aux infrabasse­s dans la fosse sombre et moite d’une boîte de nuit aux premières heures de l’aube ? Ecoutez donc l’implacable X-ALT. Puis on passe en mode post-rock stroboscop­ique avec WatchYou,Watch Me, ses lambeaux de voix robotiques et ses guitares hirsutes. L’urgence est parfois telle que c’est une tornade foudroyant tout sur son passage ; on ne sort pas forcément indemne de l’écoute de Daydream, gigantesqu­e maelström sonore sur lequel plane la voix rêveuse et synthétiqu­e de Shemie, comme l’unique rescapée de ce déchaîneme­nt des éléments.

Pièce maîtresse (et centrale) de ce Felt déjà indispensa­ble dont on ressort chancelant, à la dérive, Control en est la synthèse parfaite, déployant majestueus­ement sa tension sourde sur le monde pour l’envelopper d’une chape de plomb avec vue imprenable sur les étoiles.

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