The Nightcrawlers

The Biophonic Boombox Recordings Kemado Records/Mexican Summer

Philadelphie a aussi eu sa scène krautrock. Soigneusement cachée, elle réapparaît grâce à une réédition en double album.

ON CONNAISSAIT LA VILLE DE PHILADELPHIE pour avoir hébergé la série des Rocky, donné naissance à la musique soul la plus suave et sophistiquée au monde (le Philly sound) et à une crème de fromage à tartiner. On ignorait que dans les années 1980, elle fut aussi une annexe musicale de Berlin et le berceau d’une kosmische Musik transatlantique de belle facture.

En cela, cette double compilation réunissant une poignée d’enregistrements du trio électronique The Nightcrawlers constitue le genre de pépite dont le marketing de la réédition, à force de surexploitation, est devenu avare. Cette quinzaine de morceaux échappe enfin à l’ensevelissement et trouve la lumière après un tunnel dans l’anonymat, long d’une quarantaine d’années pour certains d’entre eux, entièrement assumé. Ils sont l’oeuvre de trois amateurs passionnés d’électronique qui consacraient leurs loisirs à remplir des cassettes de soixante minutes avec de longues improvisations enregistrées dans leur garage sur un bête ghetto-blaster, toutes réalisées au moyen de machines analogiques et inspirées par les fugues

spatiales de Tangerine Dream, Cluster et autres krautrockers marathoniens.

Peter Gulch était chimiste de profession, son frère Tom facteur. David Lunt travaillait quant à lui comme graphiste. A aucun moment nos trois olibrius ne cherchèrent à sortir de l’ombre, à signer un contrat, à partir en tournée. Leurs concerts, donnés dans l’obscurité, n’eurent pour cadre que des églises, des ateliers ou des galeries d’art. Seule concession à ce qu’on pourrait qualifier d’activité commerciale, la duplication manuelle de ces cassettes expédiées par la poste. A l’écoute de ces “voyages” au fort pouvoir immersif et n’ayant rien à envier aux plâneries berlinoises, on éprouve la douce, la réjouissante sensation de pénétrer dans une ZAD musicale, une aire de jeu vierge bénie par un dilettantisme de Facteur Cheval nerd et des convictions esthétiques d’une intransigeance peu commune.