Les Inrockuptibles

Les mystères de l’Ouest

- JD Beauvallet

Tous les vingt ans, la cérémonie des oscars invite la clodo de service, le paria à peine sortable à dîner à la table des maîtres. Avant de le renvoyer fissa à son mal-être, à ses albums intimistes et douloureux, si loin des paillettes et des sourires appris. La dernière fois, c’était le pauvre Elliott Smith qu’on avait déguisé en smoking, nommé en 1998 dans la catégorie “meilleure chanson originale” pour son Miss Misery, utilisée dans le Will Hunting de Gus Van Sant. Rencontré à cette époque, l’Américain ne se faisait aucune illusion sur son destin hollywoodi­en : “Je m’y sentais comme une bête de foire (…) Je m’entraîne à être seul et méprisé, à être écrabouill­é par le futur. Si je me prépare, je ne serai pas déçu. Ce n’est pas du pessimisme : je sais ce qui va m’arriver et je ne me plains pas.” On ignore si le pareilleme­nt sensible et largué Sufjan Stevens se découvrira à son tour un fan-club comprenant Courtney Love et Madonna quand il patientera le 4 mars pour savoir si sa propre chanson, Mystery of Love ( pour Call Me byYour Name de Luca Guadagnino), sera honorée. Une récente interview, où il racontait n’avoir jamais regardé la cérémonie, offrait un écho troublant aux propos d’Elliott Smith sur sa propre inadaptati­on à ces fastes et strass. On souhaite juste qu’il n’y ait pas de malédictio­n attachée à ces nomination­s contre-nature (Elliott Smith s’est suicidé cinq ans plus tard), qui nous priverait des deux songwriter­s les plus constants et bouleversa­nts de la scène alternativ­e US. Alternativ­e, oui, tant ces chansons vivent dans les marges de toute idée de pouvoir, de puissance, de triomphe. Alternativ­es, pour ce qu’elles offrent une sortie de secours à la brutalité, au vacarme et à l’insignifia­nce. Elliott Smith et Sufjan Stevens ont beau être invités à Hollywood, leurs chansons n’ont jamais fait de cinéma.

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Sufjan Stevens
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