Le Pont du Nord de Jacques Rivette
Avec Bulle Ogier, Pascale Ogier, Pierre Clémenti, Jean-François Stévenin (Fr., 1981, 2 h 09, reprise)
Un jeu de l’oie dans le Paris en pleine restructuration de la fin du giscardisme. Un des plus beaux films de son auteur. “J’aime qu’un film soit une aventure pour ceux qui le tournent et, plus tard, pour ceux qui le voient”, dit quelque part Jacques Rivette.
Le Pont du Nord, c’est l’aventure au coin de la rue, le cinéma comme art de rue, cinéma de plein air, appel d’air. Dehors toute !
Un film claustrophobe comme ses personnages, Marie (Bulle Ogier) qui sort de prison, Baptiste (Pascale Ogier), chevalier errant dans la plaine urbaine, deux générations d’un duo d’amazones hasardeuses. Paris est le grand terrain vague d’un jeu dont on a oublié les règles. Le décor mouvant d’un thriller dont on a oublié le scénario : les années 1970 sont derrière, avec leurs conspirations d’intérieur, leur politique-fiction pour petits garçons. Si Bulle O. reprend son personnage de terroriste de La Troisième Génération de Fassbinder, c’est pour se tirer ailleurs, Ailleurs-les-Oies, jeu de lois. Voici les filles de l’année 1980, le hasard est leur destin, qui finit mal comme la vie, comme l’époque, mais saisi au moment de tous les possibles. Ce pont du Dehors est un reportage sur la liberté, caméra vive dans un monde où la mise en scène doit se différencier de la surveillance. “La vie réelle, c’est le règne de la terreur”, dit la jeune fille-karaté. “Le jour appartient au pouvoir, la nuit à la puissance”, répète la femme-amour fou. Pour autant, il ne s’agit pas de quitter ce monde vers l’imaginaire, de fuir la lumière pour l’ombre. Au contraire, le Dehors absolu est documentaire : déambuler pour se réapproprier l’air libre, s’allier avec son temps, être à jour. En 1980 renaissait le Rivette poète, au nouveau cri d’un cinéma absolument contemporain.