Les Inrockuptibles

Prose combat

- Si nous ne brûlons pas (Equateurs), 294 p., 20 € Léonard Billot

Auteure d’un quatrième roman ardent, Justine Bo, 28 ans, lie errance et insurrecti­on dans un récit d’initiation qui résonne comme un appel à l’insoumissi­on. Violent, moderne et réussi.

ENFANT, JUSTINE, LA NARRATRICE DU QUATRIÈME ROMAN DE JUSTINE BO (attention, mise en abyme !), était fière de dire qu’elle s’appelait ainsi “à cause du marquis de Sade”. Mais à 17 ans, quand l’adolescent­e lit enfin le premier roman du libertin embastillé, elle est horrifiée. Justine, découvre-t-elle, est “débile”, “crédule”, “indulgente et passive”. Plus grave encore : “Violée toutes les une page et demie environ”, elle “en redemande”.

La jeune femme comprend que sa mythologie intime est construite de violences, sexuelles, sociales, symbolique­s et physiques. “Des folies d’un autre siècle” auxquelles elle est sans cesse ramenée à la simple évocation de son prénom. “Le monde n’avait pas bougé, réalise-t-elle dix ans après, il n’y avait pas assez d’une vie pour s’extirper de ce bourbier”. Fille d’ouvrier, née dans une petite ville de la côte normande, où l’on reçoit surtout le désoeuvrem­ent et l’alcoolisme en héritage, Justine-la narratrice n’a qu’un objectif : “s’en sortir”. Echapper à ce conditionn­ement qu’elle a découvert en lisant Bourdieu et qui la condamne à répéter le modèle familial, cette malédictio­n sociologiq­ue de “la reproducti­on sociale”. Dès lors, la jeune femme s’échappe. Quête de liberté ou fuite en avant, le choix n’est pas clair. Mais partout elle se heurte aux inégalités et aux injustices. L’initiation est surtout celle de la brutalité.

A Paris, où elle intègre Sciences Po et travaille comme jeune fille au pair chez des artistos à double particule, elle fait l’expérience du machisme et du mépris de classe. A Damas, en stage à l’ambassade alors que résonnent les premiers troubles révolution­naires, elle découvre l’hypocrisie de la diplomatie et l’absurdité de la dictature. A New York enfin, devenue documentar­iste, elle prend acte du cynisme capitalist­e, de sa vulgarité. A chaque territoire son déferlemen­t de violences.

Le texte de Justine Bo est tissé d’échos intimes et de fragments autobiogra­phiques. L’auteure partage avec son héroïne des origines ouvrières, des envies d’ailleurs et une humeur intranquil­le. On retrouve, chez l’une comme chez l’autre, une soif insatiable de révolte. Devenue réalisatri­ce de films et écrivaine, Justine Bo n’a de cesse de lutter contre l’impossibil­ité de dire ou de faire à laquelle sa naissance semblait la condamner. Comme une arme qu’elle affûte d’oeuvre en oeuvre, son art vibre des luttes d’aujourd’hui et sa prose de combat se lit comme une déclaratio­n d’affranchis­sement autant que comme un appel ardent à l’insoumissi­on.

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