Les Inrockuptibles

Mal de mère

- Patrick Sourd

Réunissant une troupe d’actrices hors pair, ANNE THÉRON transforme en une traque passionnan­te la quête d’une femme abandonnée très jeune par sa mère.

“BANG BANG, HE SHOT ME DOWN”. ON ENTRE DE PLAIN-PIED DANS L’ACTION d’une enquête quasi policière avec les fameux coups de feu du hit de Nancy Sinatra en guise de trois coups. C’est à la manière d’un chasseur aguerri ou d’un prédateur sexuel qu’une jeune femme détaille les ruses utilisées pour surveiller une proie sans risquer de l’effrayer. Rien n’échappe à son regard. Des talons hauts aux bagues dorées et jusqu’au corps de celle qui ondule en dansant derrière la vitrine d’un café musical de la rue Saint-Denis, sa première cible enfin logée, il ne reste qu’à l’aborder. En ménageant ses suspenses, la belle écriture de la pièce d’Alexandra Badea nous entraîne dans un jeu de pistes où la jeune Clara ne convoite que des femmes.

Suite à la mort de son père, Clara (Liza Blanchard) se transforme en limier après la découverte d’un sac caché au fond d’un coffre. “Je l’ai secoué et plein d’objets bizarres sont tombés par terre : une tétine, le programme d’une expo d’art moderne, la photo de mon père découpée dans un magazine d’architectu­re, une fleur séchée, des cailloux, une bague, une boîte de bonbons, un mouchoir avec les initiales AG.”

Autant d’indices qui lui permettent de dresser le portrait-robot d’une compagne de son père qui les avait abandonnés alors qu’elle n’était encore qu’un bébé. Au milieu du précieux fatras, la carte d’électrice d’une certaine Anna Girardin décide Clara à lister des profils de femmes portant le nom de celle qui pourrait être sa mère.

Pour rendre compte dans une même temporalit­é de ces deux destinées que la vie a séparées, la pièce se joue de l’alternance des points de vue. On suit la quête de la fille en parallèle de la vie de la véritable Anna Girardin (Nathalie Richard) qui sillonne la planète en tant que marchand d’art et noie son mal-être en addict des sites de rencontres. Tour à tour chanteuse de cabaret, ex-baba cool retirée dans une ferme, avocate au barreau et médecin à Berlin, Judith Henry incarne à elle seule avec brio les quatre femmes que Clara rencontre sans succès en raison de leur homonymie. C’est en remontant d’un cran dans la pyramide de sa filiation que la jeune femme s’approche au final de son but en localisant sa grandmère maternelle (Maryvonne Schiltz) qui ignorait son existence.

Menée sans temps mort par

Anne Théron, A la trace est une course à la vérité qui n’est jouée que par des femmes. Reste que si les hommes demeurent les grands absents du plateau, ils apparaisse­nt à l’image lors des échanges entre Nathalie Richard et ses amants du net. Impossible donc de ne pas saluer la justesse de cette seconde troupe de corps virtuels réunissant Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad et Laurent Poitrenaux.

A la trace d’Alexandra Badea, mise en scène Anne Théron, jusqu’au 3 mars, Théâtre des Célestins, Lyon. En tournée, dont un passage du 2 au 26 mai, Colline-Théâtre national, Paris XXe

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Nathalie Richard sur scène et Wajdi Mouawad à l’écran

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