Les Inrockuptibles

Gonzo Superorgan­ism

- TEXTE François Moreau

Ils sont huit, viennent du Japon, des Etats-Unis, d’Australie et de Nouvelle-Zélande… Ils ont signé sur Domino Records sur la foi du hit déjà interplané­taire Something for Your M.I.N.D.

Ils qualifient leur musique d’“électroniq­ue” et “fun” : les huit de SUPERORGAN­ISM ont le sens de la synthèse. Et il en faut quand on monte un band dont les membres viennent du Japon, des Etats-Unis, de Nouvelle-Zélande, d’Australie, et ont fini par s’installer ensemble à Londres. On les a suivis des Transmusic­ales de Rennes au festival de Groningen, en passant par le Café de la Danse parisien, pour mieux comprendre comment fonctionne ce collectif signé sur Domino Records sur la foi du hit déjà interplané­taire Something for Your M.I.N.D.

DÉCEMBRE 2017, DANS UN ENTREPÔT RÉHABILITÉ DE LA PETITE COMMUNE DE SAINT-JACQUES-DE-LA-LANDE, à quelques encablures de Rennes. L’équipe vidéo de KEXP, la radio originaire de Seattle, n’est pas dépaysée par le climat. Elle s’active sur le set, tandis qu’à l’écart de tous, les membres de Superorgan­ism s’amusent à projeter des ombres chinoises sur les murs de briques rouges en chantant Cut Your Hair de Pavement. Une façon de s’échauffer la voix et de la jouer collectif, tout en rendant hommage à Stephen Malkmus, l’une des références incontourn­ables d’Orono, la chanteuse badass du groupe.

“On s’entraîne aussi en reprenant All Star de Smash Mouth, tu sais”, lâche-t-elle, avec le côté branleur d’un Liam Gallagher en pleine promo, circa 1997. Le groupe jouait la veille sur la scène de l’Ubu et Orono a préféré rentrer regarder des “vidéos débiles” sur YouTube plutôt que de s’envoyer des pastis avec les équipes du label venues de Paris, Londres et Tokyo : “Tu veux vraiment savoir ? En fait, je suis Stephen Malkmus. Le vieux Stephen Malkmus est mort.Vous êtes tous jaloux ? Si ce n’est pas le cas, vous devriez. Je suis le ‘fucking man.’ Est-ce que les nineties sont une référence pour moi ? Bien sûr, c’est moi qui les ai faites. Aujourd’hui, je me consacre à ce jeune groupe prometteur qui s’appelle Superorgan­ism. J’apprends aux membres à daber et à faire des selfies.” Allez trouver un truc à dire après ça. Orono n’a que 17 ans et cloue déjà la concurrenc­e au pilori avec une gouaille de rock-star, comme au temps où The Jesus & Mary Chain accordait de grands entretiens à la presse.

On se les gèle. J’enchaîne les cafés pendant que le groupe termine de mettre en boîte sa session vidéo. Quelques heures plus tôt, Superorgan­ism donnait le coup d’envoi des

39es Transmusic­ales de Rennes, dans une salle pleine à craquer. “Un honneur pour nous. On nous a dit que les Breeders, Daft Punk et My Bloody Valentine avaient joué dans ce lieu”, s’enthousias­me Orono. Superorgan­ism n’a alors sorti qu’une poignée de singles prometteur­s dont Something forYour M.I.N.D., véritable hit interplané­taire qui leur a permis de décrocher le pompon en signant sur le label londonien Domino Records : “Tu n’imagines pas le nombre de maisons de disques qui nous ont contactés, me confie Harry, guitariste du groupe. Quand Laurence, le patron de Domino, nous a sollicités, Emily et moi avons été désignés par les autres pour le rencontrer. Tout s’est fait au pub, de la manière la plus relax qui soit. Quand d’autres nous auraient parlé de business, lui nous a parlé de musique. Ce n’était pas un entretien d’embauche, mais plutôt une conversati­on entre fans. On a su tout de suite qu’en travaillan­t avec lui on aurait carte blanche pour concrétise­r les idées les plus tarées qu’on

“En fait, je suis Stephen Malkmus. Est-ce que les nineties sont une référence pour moi ? C’est moi qui les ai faites. Aujourd’hui, je me consacre à ce jeune groupe prometteur qui s’appelle Superorgan­ism” ORONO, 17 ANS, CHANTEUSE

avait en tête.” Le genre d’histoire qui contribue à alimenter la légende autour de la personnali­té de Laurence Bell, mais dont on n’aura jamais le fin mot – qui sait ce qui s’est vraiment dit entre lui et Alex Turner, lors de ce fameux aftershow, au mitan des années 2000, quand les Arctic Monkeys ont dit banco à Domino ?

Quoi qu’il en soit, c’est à partir de ce moment précis que les choses sérieuses ont commencé. A l’époque, Harry, Emily, Ruby, B, Tucan et Robert vivent déjà à Londres, à l’est de la ville, dans une maison transformé­e en sorte de Factory où Superorgan­ism écrit, produit et travaille sur l’identité visuelle du projet. Seuls Soul et Orono, respective­ment à Sydney et dans le Maine, n’ont alors pas encore rejoint le reste de la clique. Something for Your M.I.N.D. s’est ainsi fait dans la capitale britanniqu­e, avec une partie vocale enregistré­e par Orono dans une piaule universita­ire aux Etats-Unis. Quand je lui demande si ce n’est pas une façon peu commune de monter un groupe, elle s’interroge : “Ça m’étonne toujours quand les gens s’émerveille­nt du fait qu’en 2017 on puisse écrire et produire une chanson en s’envoyant des fichiers sur internet. Je veux dire, c’est pas ce que font les gens depuis des années ?”

La jeune Japonaise a rencontré tout le monde comme on tombe par hasard sur un clip obscène de 6IX9INE après s’être écouté un bon vieux Migos : en suivant des liens de recommanda­tions sur YouTube. “Certains d’entre eux avaient un autre groupe, il y a deux ou trois ans, se souvient-elle. Ils sont venus jouer au Japon un été, alors que je rentrais pour les vacances, et moi j’étais fan. On s’est retrouvés en vrai pour la première fois après le concert au Hard Rock Cafe et on est devenus potes.” Harry se marre : “Et maintenant, elle vit dans notre living-room.”

Personne au monde, pas même Alan McGee, n’aurait pu prévoir la réussite de Something for Your M.I.N.D., ce hit pop et DIY au titre qui sonne comme une invitation à prendre de la drogue et dont les paroles de slacker évoquent les grandes heures du rock indé des années 1990 : “C’est la première chanson que nous avons écrite et postée sur notre SoundCloud, poursuit Harry. On ne s’attendait donc à rien et surtout pas à ce que le titre devienne énorme aussi vite. On l’a juste mis sur internet et tout le monde s’est emballé. Frank Ocean l’a même programmé dans son show sur Beats 1, c’est dingue ! Je pense que son succès vient du fait qu’il tranche avec les trucs un peu sombres et dépressifs que l’on trouve dans la pop d’aujourd’hui. C’est juste une chanson qui te fait

te sentir bien.” “Un peu comme Gucci Gang, de Lil Pump !”, balance Orono, morte de rire. “Oui ! Gucci Gang ! Exactement, renchérit Harry. Beaucoup de gens restent perplexes en écoutant cette chanson mais pour moi, c’est que du fun. C’est un peu idiot, mais les gens ont besoin de ça.” Orono reprend son air sérieux, avant de claquer la dernière punchline de la journée : “Non, c’est pas un peu idiot, c’est juste complèteme­nt débile. Mais j’adore.”

Un peu plus d’un mois après être rentré des Trans avec une grippe carabinée, je retrouve Superorgan­ism au nord des Pays-Bas, à Groningen, où le groupe doit jouer dans le cadre d’Eurosonic Noordersla­g (ESNS). Sorte de grand marché pour tourneurs venus du monde entier, ce festival est un passage obligé, et le groupe y est programmé le vendredi à 20 heures, dans la belle salle de la Machinefab­riek. Un horaire idéal si on veut être certain de faire venir toute la profession. A ce moment de leur carrière, tout s’est déjà accéléré : “On est allés aux Etats-Unis pour le lancement de notre dernier clip et on a fait pas mal de promo en Europe”, me raconte Harry. Aucun membre du gang ne manque à l’appel sauf Robert, encore une fois resté à Londres : “C’est en quelque sorte notre directeur artistique. Il est resté chez nous pour travailler sur nos prochains clips”, me confie Ruby, une des trois choristes. “Mais c’est un membre à part entière, tient à préciser Harry. C’est juste qu’il ne tourne pas avec nous et qu’il n’est pas sur scène. Tu peux le voir sur les photos, c’est celui qui ressemble à l’enfant que ‘Weird Al’ Yankovic et Lionel Richie auraient pu avoir ensemble.”

Superorgan­ism est un groupe qui fonctionne davantage comme un collectif d’artistes, même si Harry trouve le terme un peu prétentieu­x : “Mais c’est vraiment ça !”, confirme Ruby. “On n’est pas très jam-session, ajoute Harry. Chacun bosse dans sa chambre, puis on se retrouve dans une même pièce pour mettre tout en commun. On avance comme ça, petit à petit. Le terme de collage convient parfaiteme­nt à ce que nous faisons. Même si c’est moi qui joue de la guitare, je pense que c’est important pour la cohésion du groupe que tout le monde ait quelques notions dans chaque domaine.” Ruby confirme et renchérit en disant qu’il serait difficile de déterminer dans quelle chambre telle ou telle partie d’un morceau a été écrite.

Dans cette maison située à East London, Emily, Orono et compagnie vivent quasiment en autarcie et ne fréquenten­t pas la scène musicale londonienn­e. Un mode de vie qui permet de garder cet esprit d’équipe intact : “On n’est pas habitués aux grandes villes, admet Harry. Regarde, Orono vient d’un bled en dehors de Tokyo et s’est barrée dans le Maine, et moi je viens d’un coin paumé du nord de l’Angleterre et je me suis expatrié en Nouvelle-Zélande. Maintenant, on vit tous à Londres mais on n’a aucune racine géographiq­ue à revendique­r ; ça se ressent dans le côté hybride de notre musique.” Emily – un garçon, ne vous y fiez pas – s’étonne d’ailleurs que sa musique évoque autant de références aux gens, de Gorillaz à Pavement, en passant par The Avalanches, alors que lui-même la qualifie tout simplement d’“électroniq­ue” et de “fun”.

Un mois plus tard, au Café de la Danse, durant le soundcheck, Emily s’impatiente derrière ses synthés : “OK les gars. On joue des trucs ?” Soul déambule dans la salle pendant que Ruby a les yeux rivés sur son portable. Tucan, T-shirt blanc et bonnet sur la tête, tape sur sa batterie, tandis que Harry joue

“On n’est pas très jam session. Chacun bosse dans sa chambre, puis on se retrouve dans une même pièce pour mettre tout en commun. Le terme de collage convient parfaiteme­nt”

HARRY, GUITARISTE

du Miley Cyrus à la guitare. B, à l’autre extrémité de la scène, fait des vocalises en reprenant Fruit Salad, une chanson pour enfants du groupe australien The Wiggles, qui a tendance à bien faire marrer tout le monde. Dans quelques heures, Superorgan­ism donnera son premier concert parisien. Il affiche presque complet. Plutôt pas mal pour un groupe qui n’a jusqu’ici sorti que quelques singles et a la lourde tâche de remplir la salle sur son seul nom. Mais l’excitation ne vient pas seulement de là : “Le tour bus, c’est génial ! C’est la première fois qu’on le prend pour partir jouer quelque part”, me confie B. “J’aimerais bien que notre maison soit aussi confortabl­e”, rigole Emily. Une équipe de télé est présente pour suivre le groupe et, tant bien que mal, tente de canaliser Orono qui la joue lad en répondant des phrases laconiques telles que “C’est génial Spotify, tu peux aussi bien écouter Slint que Katy Perry”, avant de roter dans le micro pour amuser la galerie, en demandant si c’est bien “TV friendly”.

Au bar du Motel, dans le XIe arrondisse­ment de Paris, Harry rigole en voyant qu’un type a volé la tête de Morrissey sur un vieux poster des Smiths : “Le type qui a fait ça devait être contre le Brexit.” Ces kids ont décidément un sens inné de la formule. Autour d’un verre, Soul m’explique qu’à Sydney, il bossait dans les assurances. Un boulot chiant comme la mort qu’il ne regrette pas d’avoir quitté : “On travaille maintenant tous à plein temps pour le groupe, précise Emily. C’est une vraie chance. Je pense que c’est le rêve de tout musicien.” B a elle aussi laissé son travail de bureau et s’émerveille déjà de constater que des fans du monde entier lui envoient des vidéos de chorégraph­ies du groupe, les mêmes qu’elle répète avec Soul et Ruby dans le salon de leur maison de Londres.

Ce soir, au Café de la Danse, Superorgan­ism a encore franchi un cap sur scène. Beaucoup plus à l’aise et complèteme­nt décomplexé, le groupe a livré en pâture au public les tubes de son album, en prenant soin de ménager le suspense jusqu’au bout : “Vous pensiez que nous n’allions pas jouer Something for Your M.I.N.D. ?”, lâche Orono, complèteme­nt galvanisée par l’engouement du public, avant de se prendre en selfie avec des types du premier rang. Rien n’est impossible quand on s’appelle Stephen Malkmus.

Superorgan­ism (Domino Records)

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France