Les Inrockuptibles

Eva de Benoît Jacquot

Avec Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel, Julia Roy (Fr., Bel., 2018, 1 h 40)

- Serge Kaganski

Un soi-disant écrivain veut séduire une bourgeoise qui se prostitue. Jeux de doubles et suspense à tiroirs.

Ce nouveau film de Benoît Jacquot est lointainem­ent adapté d’un roman noir de James Hadley Chase qui avait déjà fait l’objet d’un très beau film de Joseph Losey. “Lointainem­ent”, parce que Jacquot admet ne pas avoir relu le livre et s’être basé sur ses souvenirs de lecture. Infirmier d’un écrivain riche et célèbre, Bertrand usurpe sa place à son décès en lui volant son dernier manuscrit. Le film est tendu par un premier suspense lié à son imposture. Sera-t-elle dévoilée ? Si oui, comment ? Si non, comment Bertrand va-t-il continuer de passer pour un grand écrivain aux yeux du monde ? Au même moment, il fait la connaissan­ce d’Eva, grande bourgeoise qui se prostitue par ennui et goût de l’argent. Entre elle et Bertrand se joue un autre suspense, d’ordre romantico-sexuel : va-t-il tomber amoureux d’elle ?

Ou va-t-il rendre la froide Eva amoureuse de lui ? Laquelle de ces deux figures gémellaire­s (qui ont chacune une double vie) va manipuler l’autre ? Sur ces incertitud­es affectives, sociales et profession­nelles (qui renvoient aux jeux de pouvoir et séduction entre un artiste et son modèle), Jacquot chronique la chute d’un homme pris dans le vertige de ses propres jeux, miroirs et manigances. Sa mise en scène a la froideur, l’élégance et le tranchant d’une lame (le montage est particuliè­rement coupant), et si Huppert est un peu en deçà de ce qu’on connaît d’elle (comme son personnage, elle assure, hyperpro mais sans surprise), Ulliel confirme, après Saint Laurent, qu’il est un de nos meilleurs acteurs. Toutefois, Eva souffre parfois d’un déficit de croyance, oeuvre théorique en équilibre précaire entre comédie involontai­re et somptueux film noir.

Newspapers in French

Newspapers from France