Les Inrockuptibles

La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher

Un survivant placide confronté à une invasion de zombies. Filmé à Paris en huis clos, un premier film épatant d’audace et d’invention.

- Emily Barnett

LA PISTE MANIÉRISTE NE SERA PAS suivie ici. Dominique Rocher a conçu des zombies bien à lui, qui ont leur existence propre et puisent à la source un vague à l’âme tout contempora­in. Sam est un trentenair­e marqué par une récente rupture sentimenta­le. C’est en allant chez son ex-petite amie pour récupérer ses affaires qu’il se trouve catapulté dans une fête dont, au matin, il ne reste aucun humain survivant : les parisiens fêtards et bobos ont tous été croqués et transformé­s en zombies.

Adapté d’un roman de Pit Agarmen (pseudo de Martin Page) paru en 2012, La nuit a dévoré le monde détonne par son calme absolu. Nulle hystérie ne parcourt le film mais plutôt un silence inquiet qui a mangé la ville. Le héros (interprété par le placide et excellent Anders Danielsen Lie, le Norvégien révélé en 2011 dans Oslo, 31 août de Joachim Trier) est bloqué dans un immeuble dont il est à la fois le prisonnier, le flic et le gardien, subsistant de restes alimentair­es, dégommant parfois l’un de ces maudits visiteurs à coups de fusil. On est frappé par le classicism­e impeccable de la mise en scène antichoc, aux mouvements lents, presque doux, éthérés, dont l’horreur est avant tout picturale, comme ces traces de sang sur un mur.

Placide ne signifie pas timide et insensible au genre : La nuit… possède plusieurs sommets kitsch où les amateurs d’amputation et d’explosion de cervelle seront servis. Sur un plan plastique, les zombies sont très réussis, dégoûtants, effrayants et ridicules, mécaniques et organiques, rapides et lents. On est dans le mouvement hébété des créatures de Romero et dans la vitesse des zombies vus chez Danny Boyle ( 28 jours plus tard, où des survivants erraient dans un Londres désert annexé par des êtres “contaminés”).

Certains jeunes cinéastes français ont trouvé dans l’imagerie horrifique un moyen d’exprimer un malaise d’ordre vital. Chez Julia Ducournau, c’était le féminin et le passage à l’âge adulte (Grave). Ici, on est clairement dans le traitement des affects liés au deuil amoureux et à la difficulté de grandir : le héros trimbale avec lui son Walkman nineties et ses vieilles cassettes de metal qu’il écoute en boucle, comme un adolescent. Il devra les brûler pour apprendre à dompter ces envahisseu­rs hostiles, sortir de sa planque et affronter le monde avec de nouvelles armes d’adulte.

La nuit a dévoré le monde de Dominique Rocher, avec Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani (Fr., 2018, 1 h 34)

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