Les Inrockuptibles

Mettre un frein à l’immobilism­e

George Dandin moque les travers d’un paysan parvenu. Revisitée par JEAN-PIERRE VINCENT, la pièce de Molière devient le tableau d’une France en “vieux pays où nous pataugeons”.

- Patrick Sourd

EFFET BOEUF D’UN DÉCOR S’HABILLANT DES ILLUSIONS de la vidéo : on passe ainsi du fantasme de la vie dans un palais digne du château de Versailles à un bouseux pied-à-terre, la cour d’une grosse ferme délimitée par ses communs. S’agissant de monter George Dandin, Jean-Pierre Vincent et son scénograph­e, le peintre Jean-Paul Chambas, témoignent de trop d’empathie pour la farce de Molière pour réduire cette réalité de départ au signe d’une misère.

Clin d’oeil à l’humour des oeuvres de l’artiste italien Maurizio Cattelan, ils nous gratifient d’un geste artistique de leur cru, pour y inscrire une sculpture composée d’un vrai tas de fumier et d’un cul de vache laitière saisie à mi-corps à l’instant où elle s’apprêtait à traverser un mur… Ayant fonction de métaphore, l’oeuvre, en digne avatar du surréalism­e, fonctionne comme un drôle de cauchemar pour illustrer la situation d’un héros piégé à mi-chemin dans sa réussite et dont la seule gloire sera de prêter son nom à cette comédie de dupes où la fraîcheur n’a d’égale que sa formidable cruauté.

George Dandin est un paysan enrichi qui espère pouvoir donner à sa lignée un titre de noblesse, en renflouant la famille d’aristocrat­es ruinés dont il vient d’épouser la fille. Comme la vache coincée dans son mur, le parvenu aura à peine le temps de se réjouir d’avoir mis un pied dans l’ascenseur social qu’il découvre déjà que sa femme en pince pour un autre bien mieux né que lui.

A l’époque de Louis XIV, Molière et Lully dénonçaien­t devant la Cour l’obscène évidence de celui qui usait d’une telle ruse pour s’anoblir. En 1668, victime idéale promise à un lynchage par le rire, George Dandin méritait sa mise au pilori, dans le double rôle du dindon de la farce et du cocu certifié.

“La France reste un vieux pays où nous pataugeons, Dandin nous saute aux yeux, nous renvoie l’image de nos comptes pas réglés, précise Jean-Pierre Vincent, qui réserve à son héros un sort beaucoup plus nuancé. A partir d’une situation bien réelle, Dandin entre pas à pas dans un monde de folie. Mais c’est la comédie entière qui est un méchant rêve. Le texte est simple et direct, mais il appelle, ou déclenche, ou permet, très vite, une foule d’images et de visions. C’est ainsi que se développer­a notre récit, non dans un réalisme rural, mais dans une fantasmago­rie onirique.”

En s’ancrant sur une ligne de force consistant à exacerber le comporteme­nt de tous pour se moquer d’une société à bout de souffle, Jean-Pierre Vincent nous renvoie à nous-mêmes, en s’amusant de l’image d’un grouillant panier de crabes. On rit jaune au final de se rendre compte que sur cette scène, comme dans la vie, chacun n’est plus motivé que par le désir de devoir sauver sa peau.

George Dandin ou le Mari confondu de Molière, mise en scène Jean-Pierre Vincent, jusqu’au 10 mars, MC2 scène nationale, Grenoble ; du 13 au 24 mars, Théâtre des Célestins, Lyon. En tournée jusqu’au 30 mai

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