Les Inrockuptibles

Demons in Paradise de Jude Ratnam

Un documentai­re saisissant sonde les plaies du Sri Lanka post-guerre civile.

- Alexandre Büyükodaba­s

JUDE RATNAM A 5 ANS EN 1983 QUAND IL MONTE DANS LE DÉMON, ce train rouge qui relie le sud du Sri Lanka au nord séparatist­e. Avec sa famille, il fuit les premiers pogroms d’une guerre civile qui durera vingt-cinq ans. Aujourd’hui, la paix reste fragile et la guérison difficile dans un pays exsangue où l’on prêche l’amnésie généralisé­e.

Le cinéaste construit son film comme un triple voyage : géographiq­ue (il rejoue l’exode originel), intime (une part du récit est prise en charge par ses proches) et historique (il embrasse les ramificati­ons complexes du conflit entre Cinghalais et Tamouls). Si la violence intercommu­nautaire, conséquenc­e d’un colonialis­me ayant favorisé une langue par rapport à une autre, est questionné­e, les différente­s rencontres font état de tensions au sein même des partisans de l’Eelam tamoul, ce rêve d’Etat indépendan­t.

Conscient que sa caméra ne soldera pas la tragédie, il essaie d’en considérer les plaies béantes avec patience. Un entretien par Skype avec un ancien combattant est suspendu pour laisser affleurer les larmes, une vieille femme convoque ses souvenirs brumeux pour reconnaîtr­e l’enfant qu’elle avait caché jadis.

L’influence évidente de Rithy Panh confère aux gestes une importance fondamenta­le dans la compréhens­ion de l’horreur. Geste qu’on regrette (ce photograph­e qui n’est pas venu au secours d’un homme battu à mort), qu’on reproduit (le changement de costume pour dissimuler son ethnie), jusqu’à l’usure (ces rails qu’on scie à la lime). Mais Demons in Paradise brille également d’un espoir de réconcilia­tion magnifié dans une séquence réunissant d’anciens ennemis autour d’un feu de camp, et incarné dans l’image finale de cet arbre au tronc amputé qui tient toujours debout.

Demons in Paradise de Jude Ratnam (Fr., S. L., 2018, 1 h 34)

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