Les Inrockuptibles

9 doigts de F. J. Ossang

Le plus insulaire des cinéastes français nous embarque dans un film d’aventures surnaturel­les d’une poésie fantasque.

- Jean-Baptiste Morain

PEUT-ÊTRE FAUT-IL RAPPELER QUI EST F. J. OSSANG, cinéaste français (voire citoyen du monde) tout à fait singulier. Pour simplifier, Ossang (dont personne ne connaît le vrai nom), qui apparaît dans le paysage du cinéma dans les années 1980, est un musicien punk qui a fait l’Idhec. Depuis, il a réalisé plusieurs courts métrages et seulement cinq longs (avec des moyens très limités) réunissant toutes ses passions, qui sont en gros la musique qui fait du bruit, le cinéma muet classique, la poésie et la littératur­e d’aventures romanesque­s, et aussi sans doute la bande dessinée. Tout ce qui vient de la rue, aurait-on envie de dire, y compris l’humour potache, le burlesque. Après des années de galère, l’oeuvre d’Ossang a été célébrée le temps d’un week-end à la Cinémathèq­ue française (du 17 au 19 mars), et le cinéaste a reçu, pour 9 doigts, le Léopard pour la meilleure réalisatio­n au Festival de Locarno, en août dernier.

Ossang est un cinéaste qui sait créer des ambiances oniriques avec des plans très cadrés, des acteurs très maquillés, coincés dans leurs costumes, des ombres, des techniques primitives qui viennent du muet, des décors naturels auxquels il donne un air de décor de studio en carton-pâte. On pourrait dire qu’il est un cinéaste primitif, sans aucune connotatio­n péjorative. Dans un noir et blanc superbe, 9 doigts raconte une histoire romanesque et folle à souhait, très mystérieus­e et surtout très improbable (entre film noir ésotérique, film d’aventures surnaturel­les et roman de SF complotist­e à deux balles...), qui va nous amener sur un cargo de nuit dont les passagers vont bientôt être victimes d’un mal inconnu...

Le film fait ressurgir des fantômes d’images, des traces de films que nous avons vus sans savoir d’où elles viennent, sans même qu’Ossang le sache lui-même. Prenez le titre : 9 doigts.

Qui rappelle le titre d’un des albums des aventures de Gil Jourdan par Maurice Tillieux : Le Gant à trois doigts. Chaque image, chaque mot des dialogues souvent alambiqués d’Ossang nous renvoient à des images d’un cinéma, d’un roman ou d’un tableau qui nous hantent parce qu’elles reflètent nos fantasmes.

Côté romanesque, on repère très vite, sans que ce soit jamais de réelles citations, des traces d’Edgar P. Jacobs, Fritz Lang, Hugo Pratt, Conrad, Murnau, Lautréamon­t (cité dans le film, lui), Hergé, Melville (Herman), Kafka, Borges, Edgar Poe ou Lovecraft, voire de Star Trek... F. J. Ossang est un cinéaste fétichiste qui met tout ce qu’il connaît dans son cinéma. Il fait toujours à peu près le même film (comme on le dit des chansons de Charles Trénet) et pourtant ses films ne se ressemblen­t pas.

Aux acteurs fidèles d’Ossang (son actrice fétiche et muse Elvire, l’acteur portugais oliveirien par excellence Diogo Dória...) viennent s’adjoindre de nouveaux venus classieux : Gaspard Ulliel (superbe), Pascal Greggory (que l’on ne présente plus), Paul Hamy ( L’Ornitholog­ue de João Pedro Rodrigues), Damien Bonnard (vu dans Rester vertical d’Alain Guiraudie), totalement sublimés et souvent méconnaiss­ables et la fascinante Lisa Hartmann. C’est drolatique, c’est déchirant, c’est foudingue, c’est Ossang.

 ??  ?? Lisa Hartmann et Paul Hamy
Lisa Hartmann et Paul Hamy

Newspapers in French

Newspapers from France