Les Inrockuptibles

Rencontre Mathurin Bolze

L’acrobate-danseur MATHURIN BOLZE signe Atelier 29, un des plus beaux spectacles de l’année, avec les élèves du Centre national des arts du cirque. Et fomente la quatrième édition du festival défricheur utoPistes de Lyon.

- TEXTE Philippe Noisette PHOTO Rebekka Deubner pour Les Inrockupti­bles

L’acrobate-danseur signe Atelier 29, avec les élèves du Cnac

LE NOM CHOISI PAR MATHURIN BOLZE POUR SA COMPAGNIE EST SAVOUREUX : MPTA/LES MAINS, LES PIEDS ET LA TÊTE AUSSI. Acrobate-danseur hors pair, il sait de quoi il parle. De ses débuts comme enfant, figurant au théâtre, avec Bruno Boëglin puis Jean-Paul Delore, Mathurin a gardé l’odeur des coulisses “et des sensations très fortes. Je me suis mis dans la tête que si cela pouvait se reproduire, ce serait très bien”. Mais c’est par la gymnastiqu­e qu’il apprend à “dompter” son corps, “à haute dose”, à 12 ans. Jusqu’à ce qu’il découvre le cirque, avec cette impression de traverser l’adolescenc­e en sachant enfin ce qu’il veut faire. Stagiaire chez Archaos, les précurseur­s du nouveau cirque, puis étudiant au Centre national des arts du cirque (Cnac), à Châlons-enChampagn­e. Une communauté d’artistes ? “J’ai grandi dans une expérience communauta­ire avec mes parents. A Châlons, il s’agissait de créer ensemble, pas tant de vivre ensemble.” Surtout, il y rencontre la danse, avec François Verret, et la musique.

En 2017, c’est à son tour de signer le spectacle de fin d’année de ce centre. Atelier 29 est une réussite éclatante. “L’école a changé et la place du cirque également. Aujourd’hui, c’est une option moins rebelle pour les élèves.” Pour Atelier 29, il a imposé une collaborat­ion avec une autre institutio­n, l’Ensatt (Ecole nationale supérieure d’arts et techniques du théâtre), dont quatre étudiants règlent lumière, costumes et scénograph­ie. “Avec neuf nationalit­és présentes sur le plateau, il y a, modestemen­t, l’idée d’un bout de radiograph­ie d’une génération, ces gens qui ont

21 ou 22 ans, et qui ont fait le choix d’une école de cirque plutôt que de commerce. Je m’interroge sur ce que cela veut dire. Est-ce qu’il y a une colère à régler comme lorsque certains s’engageaien­t dans l’humanitair­e autrefois ?” Mathurin Bolze n’est pas certain d’avoir toutes les réponses à ces questions. Avouant que la rencontre avec cette promotion circassien­ne a été fertile, à défaut d’être toujours facile. Ce qui lui convient.

Des pièces comme Fenêtres ou Du goudron et des plumes ont marqué les esprits. Bolze n’a pas son pareil pour faire valser un plancher, passer par les portes ou grimper aux murs. Evoquez sa manière de jouer avec la pesanteur et il réagit au quart de tour : “Les pionniers du cirque, à mes yeux, sont des pionniers du corps humain.” Il a tâté du vol avec Kitsou Dubois, spécialist­e de la danse aérienne. D’où sa propension à ne pas toucher terre dans ses oeuvres. Barons perchés en aura été un bon exemple. Pour lui, il n’y a que des cirques au pluriel.

Se voit-il quelque similitude avec les grosses machines du cirque actuel venues du Canada ? “Même si je préfère des créations plus fragiles, on peut dire que nous avons une pratique en partage. Après, il y a cette idée nord-américaine d’un cirque mondialisé.

Je me souviens, en tournée avec le spectacle du Cnac, d’une visite au Cirque du Soleil : il y avait un bureau d’avocats sur place ou une salle avec des vélos sur lesquels les remplaçant­s regardaien­t le spectacle pour lequel ils étaient embauchés.” Façon de dire que ce monde n’est pas – trop – le sien.

Mathurin Bolze préfère penser le cirque comme un lieu d’échanges. D’où la création en région lyonnaise du festival utoPistes, rassemblem­ent de formes et d’artistes

– la quatrième édition s’annonce avec Jean-Baptiste André, Sébastien Barrier, Johann le Guillerm ou la paire Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman dont il a suivi l’élaboratio­n du spectacle Santa Madera. “Les utopistes, ce sont des individus qui interrogen­t la norme. Artiste, ce n’est pas un état, c’est une tension, une ascèse.”

En l’espace de trois ans, Bolze aura créé Barons perchés avec Karim Messaoudi, transmis à ce dernier son rôle dans Fenêtres et réglé Atelier 29. Sans compter ce duo avec Pascal Greggory, Ninet’InfernO. Justement, il aimerait déjouer cette obligation de présenter une pièce par an. “Il y a une injonction à produire. C’est parfois dommage de devoir penser son spectacle deux ou trois saisons en amont, histoire de rentrer dans les budgets de théâtres coproducte­urs. On perd alors en spontanéit­é.” Lui aime la marche, “qui vous révèle un homme”, comme l’écrit le philosophe Frédéric Gros. A 27 ans, Mathurin Bolze s’est blessé, genou cassé. “J’ai pensé que la vie de cirque allait s’arrêter.” Depuis, il joue les funambules entre ses projets et ses envies.

Focus Mathurin Bolze jusqu’au 18 avril en Normandie, au Festival Spring (avec Fenêtres, Barons perchés et Atelier 29). Festival utoPistes du 31 mai au 9 juin, Lyon Métropole.

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