Les Inrockuptibles

Satire dans tous les coins

Petit chef-d’oeuvre d’humour noir, les Mémoires d’un vieux con de Roland Topor racontent la véritable histoire de l’art du XXe siècle.

- Y. P.

DU REGRETTÉ ET GÉNIAL ROLAND TOPOR, disparu il y a vingt ans déjà, on connaît surtout l’oeuvre graphique, ces dessins à l’encre noire, absurdes, dérangeant­s et hilarants publiés dans Hara-Kiri qui lui valent d’être intronisé à titre posthume “satrape” du Collège de pataphysiq­ue. On se souvient aussi de son long métrage La Planète sauvage (prix spécial du jury à Cannes en 1973) et de ses collaborat­ions avec Alexandro Jodorowsky au sein du mouvement Panique.

Mais Topor était aussi un écrivain original et immensémen­t doué. Publiés à l’origine en 1975, ces Mémoires d’un vieux con, autobiogra­phie imaginaire d’un peintre anonyme du début du XXe siècle, constituen­t d’abord une réjouissan­te démolition en règle, féroce et cinglante, du style ampoulé, narcissiqu­e et prétentieu­x de ces livres de “mémoires” dans lesquels tant d’êtres vaniteux aiment se complaire à la fin de leur vie, pour “léguer quelque chose à la postérité”.

Le narrateur commence par expliquer comment ses dons pour les arts plastiques furent précoces : “A trois ans, je gravais dans la purée, à la fourchette, des Klee qui stupéfiaie­nt ma famille. A cinq ans, je faisais la sieste.” Notre jeune surdoué vit des aventures rocamboles­ques, héros foncièreme­nt puéril et odieux,

au romantisme donquichot­tesque.

Il sauve sa peau à de nombreuses reprises grâce à ses croquis extraordin­aires, devant lesquels hommes et femmes tombent en pâmoison.

Garçon de cuisine, il s’amuse à dessiner sur les serviettes avec de la sauce sale, un “art culinaire” qui empeste et lui vaut d’être traîné sous la douche. Il s’apprête à jeter à la poubelle ses bêtises quand le maître d’hôtel l’interpelle : “Arrête, malheureux ! C’est maintenant que tu te conduis en criminel. Ces humbles chefs-d’oeuvre ne t’appartienn­ent plus.

Ils sont les biens de la communauté, de l’humanité tout entière. Peut-être seront-ils un jour exposés dans un musée !”

Il rencontre ensuite Sarah Bernhardt dont il devient l’amant à 15 ans, se lie à Cocteau, Matisse, Degas (qui plagie le malheureux), fournit à Méliès le titre de son célèbre film Le Voyage dans la Lune, à Gide Si le grain ne meurt, à Orwell 1984 et à Proust l’idée de la madeleine. Et ainsi de suite jusqu’aux années 1970. Un livre qui permet aussi de se replonger dans l’histoire souterrain­e de l’art du XXe siècle, celle des avant-gardes. Et dans l’imaginatio­n extraordin­aire d’un grand artiste.

Mémoires d’un vieux con (Wombat), 160 p., 15 €

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Le choix de Mr. Oizo

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