Les Inrockuptibles

La Mort de Staline

D’Armando Iannucci Avec Steve Buscemi, Jeffrey Tambor (E.-U., Fr., G.-B., 2017, 1 h 48)

- Théo Ribeton

Adaptée d’une BD française, une comédie satirique débridée sur la crise de succession ouverte à la mort Staline.

Qui dit guerre, dit propagande. Qui dit guerre froide, dit méchants russes à stratagème­s machiavéli­ques et accents foireux. Bon. Mais dans l’eau de boudin actuelle, alors qu’on ne sait même plus si la guerre froide est de retour ou si elle s’amuse seulement à faire semblant, à quoi peut bien ressembler un film américain qui cherche à la représente­r ? Logique : à une comédie qui a bien du mal à savoir si elle doit ou non se prendre au sérieux. Une parodie ambiguë, où le premier cercle soviétique (Khrouchtch­ev, Beria…), avide de s’entretuer autour de la dépouille pathétique d’un Staline subitement emporté par une attaque, n’a aucune difficulté à nous faire rire des crimes du régime, mais laisse toujours derrière lui un étrange fumet d’amertume.

La Mort de Staline est un pastiche, et loin d’être mauvais – à condition de ne pas avoir déjà découvert la totalité des vannes dans la bande-annonce. Mais c’est surtout par son double régime qu’il marque. D’un côté, une extrême légèreté, tambouille ironique sans aucun poids, menée par un Steve Buscemi impeccable en Khrouchtch­ev assoiffé de complots ; de l’autre, un soupçon d’horreur qui se fraye toujours un chemin, depuis les foules venues assister aux obsèques et mitraillée­s par l’armée, jusqu’à une exécution finale évoquant moins la joyeuse parodie totalitair­e d’un The Interview que les horreurs voyeuriste­s d’un snuff. Ici c’est drôle, là c’est soudain une torture morale. Pendant ce temps, la Russie (celle d’aujourd’hui) censure le film et Jeffrey Tambor, sous le coup d’accusation­s de harcèlemen­t, disparaît magiquemen­t des affiches britanniqu­es par un procédé qui, justifié ou non, ne manque pas d’évoquer bizarremen­t les coutumes stalinienn­es. Stratégie marketing rusée ? OK, ce ne serait pas très sérieux, mais à ce stade on ne sait plus s’il reste grand-chose qui le soit encore – pas même la comédie.

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