Les Inrockuptibles

Vous n’y échapperez pas

- Alice Pfeiffer

La “beurette”, Un podcast à soi…

Jusqu’alors péjoratif, le terme est désormais détourné par de jeunes artistes d’origine nord-africaine, fières de leur identité culturelle multiple.

Une chicha, un drapeau de l’Algérie, une écharpe de foot ou un keffieh, le tout accompagné de la légende “beurettocr­atie”. Tout du compte Instagram de Lisa Bouteldja semble invoquer des codes remixant les imaginaire­s autour des figures de Zahia, Nabilla ou Kim Kardashian. C’est ainsi que la jeune femme française d’origine nord-africaine, petite star des réseaux sociaux, mène un combat autour de la déconstruc­tion du mot “beurette”, dans un documentai­re en préparatio­n.

“Beurette”, féminin de “beur”, surgit dans les années 1980, afin d’intégrer les enfants d’immigrés dans l’identité républicai­ne, version verlan. “Un projet nationalis­te visant à gommer son passé et sa double identité”, note Bouteldja, qui remarque lors de son adolescenc­e le glissement sémantique du mot. “Beurette” – recherche la plus populaire en matière de porno français, selon le site Pornhub, en 2016 – devient synonyme de vulgarité, hypersexua­lisation, sorte de non-lieu identitair­e “à la fois raciste et sexiste, mauvaise arabe et mauvaise française, qui paie les pots cassés d’un passé colonial extrêmemen­t douloureux et non résolu”.

Ainsi Lisa Bouteldja, mais aussi les artistes Safia Bahmed-Schwartz et Melissa Lacoste, détournent-elles les clichés pour les décharger de leur contenu clivant : “Je traduis l’orientalis­me postcoloni­al esthétique­ment pour retourner le stigmate, explique Lisa. Je suis le reflet du regard de l’autre. Je performe mon arabité pour diffuser un message de liberté et de respectabi­lité dans toutes ses incarnatio­ns.”

Comme dans chaque combat minoritair­e, la réappropri­ation de l’insulte marque une fierté. “Beurettocr­atie suggère des lettres de noblesses, comme pour insinuer une généalogie et un régime de puissance, afin de faire de l’injure un système de pouvoir, en reprenant les codes des dominants, mis au service de son Etat-nation autonome beurettocr­ate”, analyse Florie Bavard, réalisatri­ce du docu Womanhood qui analyse la représenta­tion de la femme égyptienne et la féminité arabe à travers l’oeil occidental. Entre la Miss et la Marianne, se réclamant d’une multitude de référents, la beurette 2018 est fière de son identité décolonial­e et plurielle.

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