Les Inrockuptibles

LES LÉGENDAIRE­S

- TEXTE Mouloud Achour, Anthony Cheylan et Pierre Siankowski CONCEPTION NWB Studio PHOTO Neale Haynes

Ils forment peut-être le duo le plus énorme de toute l’histoire de la pop music. DR. DRE ET JIMMY IOVINE ont mêlé leurs destins de producteur­s iconiques du rap et du rock depuis plus de vingt ans. Une saga racontée aujourd’hui via une série sur NETFLIX. Les Inrockupti­bles et Clique, qui lancera prochainem­ent sa chaîne, se sont unis pour aller à leur rencontre.

LA SÉRIE S’APPELLE “THE DEFIANT ONES”, ET ELLE EST ACTUELLEME­NT DIFFUSÉE EN QUATRE ÉPISODES SUR NETFLIX. L’histoire, celle de Dr. Dre, probableme­nt le plus grand producteur de l’histoire du rap (Death Row Records, Snoop, Eminem), et de Jimmy Iovine, grand architecte du rock depuis le milieu des années 1970 (John Lennon, Bruce Springstee­n, U2). Dans les nineties, Iovine fonde le label Interscope, sur lequel Dre signera et produira entre autres le deuxième album d’Eminem, The Slim Shady LP, en 1999. Une petite décennie plus tard, ils montent ensemble Beats et produisent des casques et des amplis faits par les amoureux de la musique, pour les amoureux de la musique. Prendre le pouvoir dans l’industrie en inventant ses propres espaces de jeux, c’est sans doute ce qui a uni Dr. Dre et Jimmy Iovine. Et c’est le thème qui a motivé une rencontre à Londres, il y a quelques jours, entre les deux potes et pontes de la musique US et l’inventeur de Clique, Mouloud Achour, qui lui lancera, le 21 juin prochain, sa propre chaîne de télé – Clique TV, donc.

Mouloud Achour — Bonjour ! Tout d’abord, je dois vous remercier pour quelque chose que vous ne savez pas. Si je fais ce métier aujourd’hui et si je suis là en face de vous, c’est grâce à vous. J’ai arrêté l’école tôt, et la culture hip-hop m’a aidé à me construire, en lisant, et en apprenant par moi-même. Puis je me suis mis à écrire, à documenter cette culture, et ça fait aujourd’hui vingt ans que j’ai pris le micro pour la première fois à la radio. Une phrase de Dre, en ouverture de Straight outta Compton (sur l’album du même nom de N.W.A, sorti en 1988 – ndlr), a été mon mantra tout au long de ma vie. Vous dites : “You are now…”

Dr. Dre — …“You are now about to witness the strength of street knowledge” (“Vous allez maintenant découvrir la puissance du savoir de la rue”). C’est d’ailleurs aussi avec cette phrase qu’on commence le film Straight outta Compton (sorti en 2015, biopic sur l’ancien groupe de Dre, N.W.A – ndlr)…

Et c’est cette phrase qui a guidé beaucoup de mes choix. Ça me touche énormément qu’elle ait été comprise, et beaucoup de jeunes ont su transforme­r leur environnem­ent en matrice qui a généré de la positivité. C’est modestemen­t au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer.

Mouloud Achour — Les médias parlaient tellement mal de nous, et tellement mal de vous… Ils parlaient de scandales, de gangsta rap, alors que pour nous vous étiez de vrais modèles. Et je me suis dit : “Il faut qu’on soit présents dans les médias, parce qu’ils ne savent pas parler de nous.” Et du coup je lance ma chaîne.

Jimmy Iovine — Mec, c’est magnifique. Dr. Dre — Oui, c’est génial.

Jimmy Iovine — C’est beau, vraiment. Quand on est à fond dans ce qu’on fait, on est loin de s’imaginer qu’on va inspirer quelqu’un en France avec nos trucs… Oui, Dre faisait juste ça pour choper des meufs (rires).

Dr. Dre — (rires) Oui, c’est dingue de se dire que ce qu’on faisait en studio pouvait à ce point toucher les gens, et voyager aussi loin. C’est vraiment dingue.

Jimmy Iovine — C’est marrant que tu racontes ça, parce que quand j’ai décidé de travailler avec Dre, le distribute­ur m’a appelé pour me dire : “Tu ne peux pas payer ce mec autant, personne ne l’écoute en Europe. Ça ne fera rien dans le reste du monde, c’est un phénomène local, une mode, ça va passer, c’est pas assez gros pour nous.”

Mouloud Achour — Vraiment ?

Jimmy Iovine — Oui. Alors que tu es exactement le mec auquel on pensait. On sentait que ce que Dre racontait, ce qu’il portait, d’autres jeunes n’avaient aucun miroir, aucun modèle. Il avait synthétisé ça avec un son puissant.

Mouloud Achour — Pouvez-vous m’expliquer l’expression “street knowledge” ? Qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

Dr. Dre — Tu sais, on s’est pris tellement de scuds à cause du terme “gangsta rap”, un terme que je déteste d’ailleurs… On a eu le monde entier contre nous, à commencer par les gens qui disaient être des nôtres. Dans The Chronic, je disais juste “appelle ça comme tu veux”. On a été catalogués. En fait, on décrivait juste ce qui se passait dans la rue. Et c’est ce qu’on a appelé le “street knowledge”. Des expérience­s, des vécus, des malheurs, mais aussi des joies et des enseigneme­nts des anciens. Si tu ne viens pas de là, tu ne retiendras que le cliché, mais au final, le “street knowlegde” sera compris par ceux qui doivent le comprendre. C’est un code, notre musique a toujours eu des milliards d’interpréta­tions possibles, pour des milliards d’êtres humains.

Mouloud Achour — Vous avez une chose en commun : vous pouvez passer des heures et des heures en studio à travailler sur un mix. Aujourd’hui, les gens écoutent de la musique sur leur téléphone et tous types d’appareils. Pouvez-vous nous dire, à l’ère des algorithme­s, à quel point il est important d’avoir le meilleur son possible ?

Jimmy Iovine — Dr. Dre et moi savions pertinemme­nt que ça allait devenir un problème ! C’est pour ça qu’on a créé des casques audio : pour que les gens puissent écouter la musique telle que nous l’entendions.

Dr. Dre — C’est exactement ça ! C’est l’une des raisons qui nous ont poussés à créer des casques. Aussi simple que vrai.

Jimmy Iovine — Oui, Dr. Dre n’arrêtait pas de se plaindre : “Mes gosses écoutent de la musique avec un son pourri ! Il faut faire quelque chose !” Alors il m’a parlé de son idée et j’ai dit : “Ouais, on va faire des écouteurs”.

Mouloud Achour — Selon vous, pourquoi est-il essentiel de passer des heures à travailler le mix d’un morceau ? On raconte que Dre peut passer jusqu’à trois semaines sur l’enregistre­ment d’une chanson…

Dr. Dre — C’est vrai, il peut m’arriver de consacrer beaucoup de temps à une chanson, mais pas à un mix. Le mix, c’est ce que je préfère, parce que j’ai l’impression d’être un ingénieur plus qu’un producteur. En général, je passe

deux jours, tout au plus, sur un mix. Par contre, produire un morceau peut me prendre un certain temps ; mais une fois que tout est en place, que j’ai une bonne idée du rendu final et que je pense avoir terminé l’enregistre­ment, je ne passe généraleme­nt pas plus de deux jours sur le mix.

Jimmy Iovine — Dre et moi sommes très différents. Une fois, j’ai passé six semaines sur un mix. C’était sur la chanson Refugee de Tom Petty. C’était avant que les consoles permettent l’automation, donc il fallait faire une véritable chorégraph­ie sur la console pour que tout sonne. Tout le monde devait tourner les boutons vers la même personne, au moins trois personnes manipulaie­nt la table de mix ! Chaque prise était complèteme­nt différente. Dire que ça a pris six semaines… J’en ris encore.

Dr. Dre — Ah ah ah, tu me ramènes loin ! Je me souviens qu’on passait aussi pas mal de temps en studio avec N.W.A, parce que cette fameuse automation n’existait pas encore à l’époque. La table de mix était pleine de marques… Mais j’étais plutôt bon pour couper les bandes, donc quand on voulait isoler un son, je savais bien m’y prendre. Je repérais l’endroit et je coupais la bande. Et du coup, cette école de la précision m’a paradoxale­ment été très précieuse quand on est passé aux ordinateur­s… J’ai une façon particuliè­re d’écouter la musique. Je dirais que j’écoute… avec mes tripes. Je n’écoute pas avec mes oreilles. C’est assez dur à expliquer. Je fais juste confiance à mon intuition, lorsque je sais que c’est bon. C’est quelque chose que je ressens quelque part à l’intérieur, près de mon plexus

“J’adorais le Bomb Squad, alors je reprenais un peu de leur son, j’ajoutais un peu de P-Funk et je créais un style à ma sauce. C’est à peu près comme ça qu’est né ce qu’on pourrait appeler… mon son”

DR. DRE

solaire. Mes oreilles ne sont que la porte d’entrée qui permet d’y accéder. C’est pas du tout mystique, c’est extrêmemen­t physique.

Mouloud Achour — Comme vous évoquez les tripes, j’aimerais vous parler de la façon dont vous signez de nouveaux artistes. A contresens. Quand le Bomb Squad faisait tout péter, vous avez injecté des instrument­s pour créer le G-Funk, mêlant du funk psychédeli­que à des beats ultragras…

Dr. Dre — Oui, mais j’étais aussi inspiré par Hank Shocklee. J’écoutais Public Enemy tous les jours en allant au studio pendant les enregistre­ments de N.W.A. La chanson Rebel without a Pause et tout l’album Yo! Bum Rush the Show m’ont beaucoup influencé. J’adorais le Bomb Squad, alors je reprenais un peu de leur son, j’ajoutais un peu de P-Funk et je créais un style à ma sauce. C’est à peu près comme ça qu’est né ce qu’on pourrait appeler… mon son.

Mouloud Achour — Oui, mais pour vous, il n’a jamais été question de suivre une tendance. Quand vous avez signé Eminem, vous avez misé sur un lyriciste issu de la scène alternativ­e, à l’époque où les gens n’écoutaient que du son gangsta. Ensuite, vous avez signé Kendrick Lamar, et maintenant, Anderson .Paak… Vous ne suivez jamais le courant.

Dr. Dre — Non, pour moi il n’est question que de créativité. Je ne cours pas après les tendances. Je cherche du très lourd. Je m’intéresse à tout ce qui a le potentiel de devenir extraordin­aire. Et la voix doit me toucher, on revient au rapport physique. Tu as cité des gens dont les voix te transperce­nt à la première écoute. Et tu les reconnais dès la première seconde. Pareil pour Nate Dogg. C’est ça qui m’amuse, ne faire que ce qui me touche.

Mouloud Achour — Quand j’ai vu votre série documentai­re The Defiant Ones, je me suis dit que le vrai combat, ce n’était pas de devenir une star du rock ou du rap, mais plutôt de trouver la paix intérieure et de pouvoir construire une vie de famille. J’ai l’impression que vous vous battez tous les deux pour ça…

Jimmy Iovine — Je ne sais pas pour Dre, mais en ce qui me concerne je ne suis jamais en paix tant que… A vrai dire, j’essaie en ce moment. Même quand je souris ou que je ris avec mes amis, mon cerveau ne s’arrête jamais de tourner. Et tant qu’il tourne, je ne suis jamais vraiment en paix ou satisfait. Aujourd’hui, j’essaie de lever un peu le pied et de voir si je peux concilier travail et… Mais mon vrai truc, c’est… (il marque une pause) J’ai rencontré une femme formidable. Ma femme. J’essaie de donner plus de sens à ma vie. Dre est plus jeune que moi et j’essaie simplement, comme dirait l’un de mes meilleurs amis, d’être un peu plus en paix. Mais Dieu sait à quel point c’est difficile.

Dr. Dre — J’ai l’impression que pour être créatif, j’ai besoin d’avoir un peu de drama autour de moi. En ce moment, c’est assez difficile pour moi de me motiver parce qu’il n’y a aucun drama dans ma vie. J’imagine que je dois être en paix avec moi-même…

Mouloud Achour — Touchons du bois…

Dr. Dre — Ouais… Mec, je ne sais pas si je peux être plus en paix que cela.

Jimmy Iovine — Alors, apprends à être créatif comme ça. Vous savez, la clé, le Graal dans la vie, c’est de parvenir à être en paix tout en conservant de l’ambition. C’est ça le vrai Graal… Si vous parvenez à le trouver.

Dr. Dre — C’est dur. Quand on a vécu dans l’urgence et appris à créer dans le drame. Il faut réapprendr­e à vivre en paix.

Jimmy Iovine — Ouais, je te dis ça et je n’y suis jamais parvenu.

Mouloud Achour — Comment faites-vous pour concilier une vie de famille avec votre travail ? Est-ce difficile de gérer les deux ?

Jimmy Iovine — Dans le temps…

Dr. Dre — Maintenant, c’est facile. C’est très facile, mais tu sais…

Jimmy Iovine — Quand tu construis ce genre de projet profession­nel, c’est brutal. Tu fais de ton mieux, tu vois ? Tu crois que tu t’en sors mais la vérité, c’est que tu fais comme tu peux.

Dr. Dre — Oui, c’est très difficile de s’organiser pour passer du temps en famille. Ça n’a pas vraiment changé. Essayer de trouver son équilibre en passant seize heures par jour

“Vous savez, la clé, le Graal dans la vie, c’est de parvenir à être en paix tout en conservant de l’ambition. C’est ça le vrai Graal… Si vous parvenez à le trouver”

JIMMY IOVINE

au studio… C’est complèteme­nt dingue. Mais maintenant, c’est l’inverse. Je planifie mon travail.

Mouloud Achour — Vous dites qu’il vous faut du drama pour être motivé, mais vous avez également tous les deux trouvé de l’inspiratio­n après des échecs. On a pu le voir dans

The Defiant Ones. Quel a été votre échec le plus instructif ? Je pense notamment au moment où vous dites : “C’est ma devise : plus jamais ça. Je passe à autre chose.”

Dr. Dre — Ça a été la vidéo avec Tyrese (rires).

Jimmy Iovine — Et mon plus grand échec a été de ne pas être là quand il était avec Tyrese ! (rires) (Tyrese avait posté sur les réseaux sociaux une vidéo annonçant la vente de la marque Beats à Apple avant l’annonce officielle. La vidéo aurait pu mettre le deal en danger…) J’ai appris très tôt à tirer des leçons de mes échecs. Quand j’ai eu mon premier job de production, j’ai commencé à me dire : “Mon Dieu, je vais gagner plein d’argent et je vais pouvoir faire tout ça…” Mais ce n’était vraiment pas mon style de musique. Les gars étaient bons, mais ce n’était pas vraiment mon truc. Après ça, je me suis juré de voir où étaient les pièges. Et souvent, les plus grands pièges sont les plus souriants et les plus sexy sur le papier.

Mouloud Achour — Dre, peut-on parler de l’épisode Aftermath, quand vous avez monté le label ? Vous avez enregistré cette chanson, Been There, Done That. Quand est-ce que vous vous êtes dit cette phrase pour la dernière fois ?

Dr. Dre — J’utilise tout le temps cette phrase, mais tu sais… Cette période de ma vie, musicaleme­nt parlant, était complèteme­nt détraquée. Je n’étais pas dans le coup et j’essayais de trouver ma voie. C’est quelque chose qui arrive chez les artistes. Tu as mis le doigt sur un de mes plus grands moments de doute, alors qu’en façade on faisait tous comme si tout allait. Tout ne va pas toujours comme on le voudrait, mais j’essayais de trouver ma voie et heureuseme­nt, Eminem est arrivé à point nommé.

Mouloud Achour — Est-il vrai que la première fois que vous vous êtes rencontrés, il a enregistré trois morceaux en une journée ?

Dr. Dre — Oui, c’est vrai. Deux d’entre eux ont été intégrés à l’album. Le troisième lui a servi pour son premier single.

Mouloud Achour — Et comment avez-vous rencontré Kendrick Lamar ?

Dr. Dre — C’est une histoire assez drôle. J’ai connu Kendrick quand je travaillai­s avec Eminem. J’étais à Detroit. Le manager d’Eminem, Paul Rosenberg, me dit : “Tu devrais jeter un coup d’oeil à ce que fait ce gamin de Compton”. Au début, j’ai été séduit par sa musique, mais ce qui a le plus retenu

mon attention, ce sont ses interviews, et la manière qu’il avait de parler de la musique, la passion qui l’animait quand il en parlait. C’est ça qui m’a le plus séduit, donc j’ai décidé de l’appeler et de le rencontrer. On s’est parlé au téléphone et… boom ! Le reste appartient à l’histoire.

Mouloud Achour — Quand vous avez créé la marque et la plate-forme musicale Beats, vous avez donné du pouvoir à ceux qui aiment la musique et le son. Aujourd’hui, il est question de streaming, d’algorithme­s et de playlists qui vous indiquent ce que vous pouvez aimer et choisir. Vous avez décidé de faire l’inverse, juste avec de la curation et des goûts personnels, notamment avec votre émission de radio. C’était calculé, de vouloir encore prendre la tangente ?

Dr. Dre — Oui. C’était très réfléchi mais ça partait d’un feeling naturel. La musique me touche, et nous touche tous. Il fallait donc simplement la partager le plus humainemen­t possible.

Mouloud Achour — Si vous aviez 20 ans aujourd’hui, que feriez-vous ?

Dr. Dre — Je ferais la même chose. J’aime faire de la musique. Tout ce qui me permet de stimuler ma créativité. J’aime faire quelque chose à partir de rien. Je ne sais pas de quoi il s’agirait exactement si j’avais 20 ans aujourd’hui, mais ça serait certaineme­nt quelque chose de créatif, et le champ des possibles est tellement large aujourd’hui, la technologi­e permet tout à qui est malin, bosseur et passionné. Mais je ferais probableme­nt de la musique.

Mouloud Achour — Et vous, Jimmy ?

Jimmy Iovine — Eh bien, je sortirais avec plus de filles (rires). Et je travailler­ais quelque part entre les technologi­es et l’art. C’est ce qui m’intéresse le plus. Etre au croisement des deux.

Mouloud Achour — Quel est l’avenir dans ce domaine ? Actuelleme­nt, la musique est dominée par le streaming… Pensez-vous que les autres industries telles que le cinéma et la littératur­e vont vivre le même genre de révolution ? Comment va-t-on consommer la culture ?

Jimmy Iovine — Je dirais qu’il y a deux choses.

Une : Netflix a une culture. HBO a une culture. Amazon Film/ Television a une culture. Hulu, Disney, aussi. Mais Spotify, Amazon et Apple Music n’ont pas de culture. Ce sont des outils, qui doivent devenir des plates-formes et des cultures qui bougent. Quand on recherche de la musique en ligne, on tombe sur ces services parce qu’ils sont les seuls. Mais ces services ne peuvent pas survivre simplement en étant des outils. Donc je pense que la musique a encore un bel avenir devant elle, et la culture… On est juste au début d’une immense révolution, sans précédent.

Mouloud Achour — Et… quelle mélodie avez-vous en commun ? Quelle est la chanson que vous aimez tous les deux et qui est capable de vous réunir ?

Jimmy Iovine — Je ne sais pas, j’apprends davantage de choses en observant la façon dont Dre crée de la musique en général. Le truc dont je suis le plus fan et que je ne connaissai­s pas avant que Dre ne l’utilise dans ses samples et sa musique… Par exemple, la semaine dernière, je me suis surpris à danser sur du George Clinton.

Dr. Dre — Je ne le savais pas.

Jimmy Iovine — C’est vrai. Je me suis surpris…

J’ai vraiment commencé à comprendre ce que c’était. C’est comme quand j’étais gosse. J’ai toujours aimé la musique afro-américaine quand j’étais gosse, mais j’ai vraiment commencé à comprendre sa raison d’être après avoir rencontré Dre. Donc je dirais que c’est en travaillan­t avec Dre que j’ai acquis une meilleure appréciati­on des différents genres de musique afro-américaine. Comme pour la musique rock. Quand j’ai travaillé avec John Lennon et avec Bruce Springstee­n, ils m’ont vraiment appris des choses sur le rock que je ne soupçonnai­s pas. J’ai pu repousser les limites de ma connaissan­ce.

Mouloud Achour — J’ai aussi découvert George Clinton et Parliament grâce à Dre. Aujourd’hui, le hip-hop est la nouvelle pop. Pour citer Biggie (The Notorious B.I.G. – ndlr), pensiez-vous que cette culture irait aussi loin ?

Dr. Dre — Je savais que tôt ou tard le hip-hop décollerai­t. Je n’imaginais pas qu’il allait devenir un tel phénomène, mais tu sais… Ça allait arriver tôt ou tard, en raison de l’énergie et de la passion que le hip-hop crée. Et je pense qu’il a un potentiel encore plus grand. Ce n’est que le début. Si aujourd’hui des mecs comme toi sont là, des millions d’autres se sont éveillés, et c’est loin d’être terminé.

Mouloud Achour — Je sais que vous allez penser que c’est une question bête, mais c’est sérieux. D’après vous, c’est quoi être adulte ?

Dr. Dre — Je ne pense pas être encore devenu adulte.

Et je ne suis pas sûr de vouloir le devenir… Je m’amuse bien comme ça.

Jimmy Iovine — Tu sais, moi j’ai 65 ans. C’est une autre histoire. Quand on a 50 ans, on se nourrit encore de ce feu… Mais quand on arrive à 60 ans, on se dit : “OK, et maintenant quoi ?” Maintenant, j’observe tous les pans de ma vie et je me dis : “OK” et rien d’autre. Il y a un adulte en moi… Tu sais pourquoi ? Parce que j’ai connu plus de gens que Dre et qu’à un moment, je vais devoir montrer l’exemple à beaucoup de jeunes. Et c’est là en général qu’on a un déclic et qu’on devient adulte.

Mouloud Achour — Qui ont été vos mentors ?

Dr. Dre — Vous l’avez devant vous (rires). Jimmy Iovine. Jimmy Iovine — Juste un gars du coin ! (rires) Plus jeune, j’ai

“On peut sortir un album différemme­nt aujourd’hui, tu sais. Les albums à l’ancienne, c’est fini, il faut passer à autre chose. Aujourd’hui, Dre réalise un documentai­re. C’est ça, son nouvel album !” JIMMY IOVINE

eu beaucoup de chance. Je n’avais aucun talent, je n’étais pas informé, je venais d’un endroit où on n’apprenait rien. Culturelle­ment, j’étais vraiment à côté de la plaque. Et un jour, j’ai rencontré Bruce Springstee­n, puis John Lennon et Patti Smith, et pendant ces cinq années, être avec eux c’était comme aller à l’université. Ils m’ont appris tellement de choses sur ce qui était cool et ce qui ne l’était pas. J’ai appris. Je ne savais rien. Quand je dis cool, je parle de passion, de curiosité, d’expérience, d’ouverture et de nuance. Et après avoir passé six heures par jour avec ces personnes pendant cinq ans, j’ai fini par penser comme elles. C’est resté et c’est encore là. Même aujourd’hui, je me rends compte à quel point c’est ancré en moi, à quel point ces personnes m’ont influencé. Ils m’accompagne­nt chaque jour.

Mouloud Achour — Jimmy, puis-je vous demander un service ? Pouvez-vous demander au mec qui est assis à côté de vous de sortir un autre album ?

Jimmy Iovine — (rires) C’est vraiment une idée intéressan­te. Dre, tu devrais écouter ce que le Français de Clique m’a dit de te dire.

Dr. Dre — Trop bon la technique…

Jimmy Iovine — Je vais te dire une chose… Je n’ai plus mon ancien job maintenant. Je veux qu’il sorte un disque seulement s’il en a vraiment envie. Mais on n’est plus obligé de faire des disques comme avant. On peut sortir un album différemme­nt aujourd’hui, tu sais. Les albums à l’ancienne, c’est fini, il faut passer à autre chose. Aujourd’hui, il réalise un documentai­re. C’est ça, son nouvel album ! C’est juste une autre forme d’expression. Il se met en scène dedans, et… c’est un enregistre­ment ! Ce n’est peut-être pas ce à quoi vous vous attendiez…

Mouloud Achour — Est-ce que vous travaillez sur quelques titres ?

Dr. Dre — Oui. Je travaille quelques morceaux, mais je ne sais pas à quoi ça va ressembler, je ne sais pas si ça va sortir, mais j’enregistre, oui. D’ici là, bonne chance pour ta chaîne !

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Dr. Dre, Jimmy Iovine et Mouloud Achour
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Dr. Dre sur le tournage de The Defiant Ones

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