Les Inrockuptibles

Allons enfants de Stéphane Demoustier

La déambulati­on de deux très jeunes enfants dans un Paris tendu et ensorceleu­r. Un très beau moyen métrage.

- Bruno Deruisseau

DE QUOI EST FAITE LA RELATION ENTRE UN PARENT ET SON ENFANT ? Cette question, Stéphane Demoustier, grand frère d’Anaïs, la travaille depuis plusieurs courts métrages et un premier long, Terre battue, sorti en 2014. Elle atteint avec Allons enfants un degré de dépouillem­ent extrême – tant ce moyen métrage confine au film de famille – qui révèle en fait une oeuvre bien plus sophistiqu­ée qu’il n’y paraît.

Nous sommes parc de La Villette. C’est l’été. Cléo, 3 ans et demi, et son frère jumeau Paul jouent sous le regard de leur nounou. L’un après l’autre, ils vont prendre la clé des champs, ressentir ce qu’est être égaré, expériment­er la solitude et faire une série de rencontres. Si les deux bambins sont incarnés par les enfants de Stéphane Demoustier, le reste du casting dresse en quelques noms seulement un territoire de cinéma assez précis puisqu’on y croise Vimala Pons et Anders Danielsen Lie (Oslo, 31 août ou Ce sentiment de l’été) en parents d’un jour, mais aussi Sam Louwyck (le capitaine dans Les Garçons sauvages).

La dimension de home-movie s’estompe à mesure que la partie de cache-cache dégénère en réelle disparitio­n. Le regard aimant du père s’est transformé en oeil de réalisateu­r fasciné par la friction qu’opère le corps d’un enfant perdu avec son environnem­ent. Signe qu’il n’occupe plus

la position du père, sa caméra n’épouse pas un angle en plongée mais lui préfère un point de vue à niveau, comme si elle était tenue par un enfant du même âge. Cette caméra, l’enfant semble l’ignorer. Car il la domine et c’est bien lui qui lui dicte ses mouvements, qui amène ce walk-movie estival là où il le désire.

Ce double mouvement de disparitio­n du regard paternel et de prise de pouvoir de l’enfant sur la caméra s’accompagne de l’étrange sentiment qu’un renverseme­nt s’opère ; les adultes semblent plus faillibles que les enfants. Le personnage incarné par Vimala Pons finit au bord du rapt d’enfant, le petit ami interprété par Anders Danielsen Lie y effectue un acte d’amour irraisonné, la nounou démissionn­e complèteme­nt, la foule semble plus préoccupée par Pokémon Go que par un enfant perdu. Il en résulte un film suspendu, qui repousse sans cesse l’enjeu central de la peur (celle des parents pour leurs enfants mais on pense également à celle, omniprésen­te, dans un Paris post-attentats) pour lui préférer celui d’un conte urbain au charme fou, d’un temps ouvert à l’imprévu, à la rencontre et à la déambulati­on. Allons enfants de Stéphane Demoustier, avec Cléo Demoustier, Paul Demoustier, Vimala Pons (Fr., 2018, 0 h 59)

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