Les Inrockuptibles

L’autre festival

Concurrent direct de Séries Mania, CANNESÉRIE­S a inauguré sa première édition du 4 au 11 avril. Un festival dont ressort Killing Eve, une géniale fiction d’espionnage signée Phoebe Waller-Bridge.

- Olivier Joyard

CE PRINTEMPS EST LE THÉÂTRE d’une bataille inédite des festivals de séries, pas encore aussi meurtrière qu’un épisode de Game of Thrones, mais presque. Le vétéran, Séries Mania, relocalisé à Lille (du 27 avril au 5 mai) après huit années parisienne­s et des interventi­ons politiques, doit faire face à une concurrenc­e inattendue, à l’origine encore plus politique. La première édition de Cannesérie­s a eu lieu dans une atmosphère d’essuyage de plâtres, la tenue conjointe du MIPTV ne permettant pas de percevoir la naissance d’un événement singulier. La volonté du maire David Lisnard d’installer le festival progressiv­ement semblant inaltérabl­e, ce nouveau-né se jugera donc sur la durée.

En attendant des jours glorieux, cette édition a déroulé son tapis rose et des master classes intéressan­tes, notamment avec les acteurs Michael C. Hall (Six Feet Under, Dexter) ou Michael K. Williams, l’inoubliabl­e Omar Little de The Wire. Les créateurs et scénariste­s n’ont pas vraiment eu leur place, mais Cannesérie­s a proposé une compétitio­n internatio­nale de dix production­s inédites hors de leur pays. Soit un mix de pilotes d’à peu près partout, de l’Espagne à la Corée du Sud – sauf de France et très peu d’Amérique –, pour la plupart engagés sur les rails du thriller.

La mexicaine Aqui en la Tierra, cocréée par

Gael García Bernal qui a également réalisé l’épisode montré à Cannesérie­s, était très attendue. Elle surjoue pourtant dans un style vaporeux un imaginaire shakespear­ien délavé, mêlant une intrigue politique et intime sans nuances. L’italienne Cacciatore – The Hunter s’est montrée plus fine dans sa manière d’embrasser le genre balisé des séries sur la Mafia. Située dans le Palerme des années 1990, elle raconte l’ascension du procureur Saverio Barone et le quotidien meurtrier d’un chef de clan. Tendue et lascive, la série de la Rai n’atteint pas la virtuosité de Gomorra mais confirme un certain regain italien. Le Prix de la meilleure série est allé à l’israélienn­e When Heroes Fly qui met en scène, avec de gros sabots, le stress posttrauma­tique de soldats de Tsahal.

Dans une sélection moyenne, la série la plus intéressan­te était celle de la prodige Phoebe Waller-Bridge, créatrice et héroïne de la géniale Fleabag. La jeune femme, que l’on verra dans Solo: A Star Wars Story, conserve avec Killing Eve le ton de sa première série et l’enveloppe dans une fiction d’espionnage. Ici, une agente des services secrets anglais (Sandra Oh, rescapée de Grey’s Anatomy et stupéfiant­e) traque une tueuse à gages (l’inquiétant­e Jodie Comer) dans une allégorie de la violence féminine aux relents pop – il arrive même que l’on pense à la défunte Alias ! “J’aime les femmes normales, bizarres, sauvages et complexes”, a déclaré Waller-Bridge. Son alléchant programme ne fait que commencer. Killing Eve a déjà été renouvelée pour une saison 2 et Fleabag reviendra en 2019.

Killing Eve Prochainem­ent sur Canal+

 ??  ?? Jodie Comer et Sandra Oh dans Killing Eve
Jodie Comer et Sandra Oh dans Killing Eve

Newspapers in French

Newspapers from France