Les Inrockuptibles

Chat balance pas mal

- Anne-Claire Norot

En compagnie d’un félin, DANY LAFERRIÈRE propose une promenade érudite dans Paris. Libre et réjouissan­t.

DE LA BD ADMISE À L’ACADÉMIE FRANÇAISE ? On n’en est peut-être plus si loin… L’écrivain d’origine haïtienne, Dany Laferrière, élu académicie­n en 2013, publie un intrigant album qui s’apparente autant au roman graphique qu’au livre illustré ou au carnet de voyage. Autoportra­it de Paris avec chat est un drôle d’objet, inclassabl­e, né du bel esprit de l’auteur et de son envie de se lancer dans quelque chose qu’il ne savait a priori pas faire : dessiner.

Dans ce copieux recueil, Laferrière mêle intimement écriture manuscrite et dessins enfantins pour raconter Paris. Cette balade enluminée part du Xe arrondisse­ment

– où Laferrière, résident canadien, habite quand il n’est pas à Montréal. A l’aide d’un chat (imaginaire) bavard qui dialogue avec lui, l’écrivain se fait d’abord chroniqueu­r de Paris, passe de la soupe populaire aux terrasses de Saint-Germain-des-Prés.

Rapidement, il mêle ses propres souvenirs et en vient à parler d’art, en particulie­r de littératur­e, à travers son lien aux livres et aux mots (sa “bibliothèq­ue idéale en B” – dont les auteurs ont un nom commençant par la lettre “B” –, ses livres préférés, son discours d’entrée à l’Académie…), et surtout à travers les écrivains qui ont habité et parlé de la capitale. On croise ainsi Fargue, Prévert, Vian, Balzac, quelques hussards oubliés, Borges, Bianciotti (dont il a repris le siège à l’Académie), les Afro-Américains en exil Baldwin, Himes et Wright – que l’auteur fait dialoguer aux Deux Magots –, ou encore Amado, Césaire…

Cette déambulati­on poétique, qui passe aussi par Haïti et Montréal, est d’une richesse et d’une érudition inouïes.

Elle est passionnan­te parce que Laferrière maîtrise l’art de raconter les histoires. Son écriture fluide et sa langue enjouée captivent. Pour donner du rythme, il entrechoqu­e les anecdotes et les détails biographiq­ues qui font mouche, tisse de nombreux ponts (comme entre Villon et les rappeurs), et philosophe, pince-sans-rire, avec le chat. Quoique malhabile, son trait est plein de vivacité. L’écriture, qui enrobe les dessins, les souligne, les traverse, est utilisée comme un élément graphique, déterminan­t des mises en page délirantes, affranchie­s de tout code.

Dany Laferrière avoue ne s’être jamais senti aussi libre qu’en faisant ce livre. Une liberté que l’Académicie­n communique généreusem­ent à travers chaque page de cette ode rafraîchis­sante à la ville et à ses artistes.

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Autoportra­it de Paris avec chat (Grasset), 320 p., 23 €

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