Les Inrockuptibles

Ecosystème de pensée

- I. L.-G.

Avec Hybris, Gaëlle Choisne fait de son exposition le lieu d’un microclima­t. Un art du “tiers-espace”.

C’est la première expo solo d’envergure à Paris de Gaëlle Choisne, née en 1985, et pourtant un hit la précède : Peau de chagrin. Pincée par de minces chaînes dorées, une peau de silicone molle et visqueuse pend du plafond. L’artiste y a imprimé des vues touristiqu­es d’Haïti, pays d’origine de sa mère, dont l’histoire, les mythes et l’écosystème constituen­t sa principale source d’inspiratio­n. Sous la pellicule glossy de l’exotisme de pacotille, paraît le refoulé trouble et toxique ; les spectres de la colonisati­on comme les menaces de la pollution globale. Pas étonnant que l’oeuvre soit un hit. Sa simplicité sensuelle rappelle le Strange Fruit

(for David) de Zoe Leonard, des fruits coupés, cousus et abandonnés à la putréfacti­on pour évoquer les ravages du

sida. Ere des hydrocarbu­res oblige, rien ne pourrit chez Gaëlle Choisne ; mais de la même manière, l’histoire retrouve une inscriptio­n sensible. Là où la colonisati­on française d’Haïti n’est pour beaucoup qu’une abstractio­n faite d’archives, elle devient tout à coup présente. L’oeuvre est emblématiq­ue de la pratique de Gaëlle Choisne. Si le premier étage de l’expo prolonge le “storytelli­ng matériolog­ique” où la précarité et l’organicité du support conduisent les oeuvres à s’autodétrui­re ou à ronger l’image imprimée à leur surface, le second espace, au sous-sol, élargit la démarche à un véritable écosystème. L’artiste y présente ses dernières pièces issues de recherches dans les archives de la Rijksakade­mie d’Amsterdam où elle réside actuelleme­nt en post-diplôme.

Dans ce microclima­t chaud et moite, l’espace est scandé par un ensemble de nouvelles pièces : des végétaux tropicaux imprimés à la peinture antirouill­e sur des pans de carrosseri­e de voiture. L’image se révélant par l’action de la chaleur, l’artiste a bricolé un système pour que les panneaux soient baignés dans l’eau chaude qui finit par infiltrer tout l’espace. Patauger sur le sol trempé dans lequel sont pris divers résidus de flyers imprimés et de piécettes de monnaie, c’est faire l’expérience au sens plein de ce que le théoricien du postcoloni­al Homi K. Bhabha a nommé “tiers-espace” : un site provisoire, fragile et interstiti­el résultant d’hybridatio­ns créatrices.

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Hybris Jusqu’au 27 mai, galerie Untilthen, Paris Xe

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