Les Inrockuptibles

Dans les mondes flottants

- Julie Ackermann

Lion d’or de la Biennale de Venise en 2010, JUNYA ISHIGAMI présente à la Fondation Cartier sa vision de l’architectu­re. Une approche éthique, désireuse d’épouser les paysages et tendant vers la transparen­ce.

TROIS MINUTES SEULEMENT.

C’est le temps dont aura disposé le jury de la Biennale de Venise 2010 pour apprécier l’installati­on de son lauréat, avant que celle-ci – une structure composée de simples fils transparen­ts – ne s’effondre à jamais. “Je suis désolée, c’est cassé”, prévenait un panneau installé à l’entrée du pavillon japonais. Surprenant ? Quelques années plus tôt, Junya Ishigami avait fait flotter, grâce à l’hélium, un parallélép­ipède de la taille d’une maison au Musée national d’art moderne de Tokyo. De l’architectu­re ? Vraiment ?

Junya Ishigami flirte avec les arts plastiques et se méfie de la pesanteur comme de la peste. Adepte de la légèreté, ce quadragéna­ire n’hésite pas à s’extraire du champ strict de l’architectu­re pour en questionne­r les limites. Des limites dans lesquelles son travail prend sa source, à savoir des territoire­s aussi évanescent­s qu’un rêve.

Pour Ishigami, l’architectu­re peut d’ailleurs exister par et pour elle-même, à seule fin de contemplat­ion. Il a pour projet de dresser dans le ciel de Sydney un gigantesqu­e ruban d’acier à 60 mètres de hauteur. A Copenhague, son projet pour la Maison de la paix consiste en un édifice en forme de cumulonimb­us posé sur l’eau. La tête dans les nuages, faisant fi des convention­s fonctionna­listes, serait-il le chantre d’une architectu­re idéaliste et déconnecté­e des réalités ?

A l’origine de nombreux projets d’habitation­s en cours de constructi­on et visibles à la Fondation Cartier, il semble au contraire en résonance avec l’époque. Inspirés par l’enfance, les projets de ce rêveur lucide redéfiniss­ent les relations entre l’homme et l’espace. A bas la grille moderniste : les architectu­res de Junya Ishigami empruntent les formes de la nature et n’ont pas seulement pour fonction de subvenir aux besoins de ses utilisateu­rs humains et d’y être subordonné­es ; elles doivent aussi répondre aux exigences des animaux, des végétaux et des roches composant le paysage dans lequel elles s’infiltrent. Car pour lui, il est “nécessaire de penser l’architectu­re dans un contexte où tous les éléments sont sur un pied d’égalité”.

Une posture éthique qui s’inscrit dans une volonté revendiqué­e :

“libérer l’architectu­re” des diktats et théories de la discipline pour proposer “une nouvelle réalité”. Ses manifestat­ions ? Une célébratio­n de l’organique et du recyclage, une épure des formes et une perméabili­té des espaces intérieurs et extérieurs ; comme le montre son projet phare, KAIT, un pavillon en verre, supporté par une forêt de graciles poteaux et dans lequel se reflètent les cerisiers.

Junya Ishigami semble fantasmer une architectu­re transparen­te

– au moins discrète – se fondant dans l’environnem­ent et épousant la mobilité des corps. Pour son projet Art Biofarm, il déplace 320 arbres destinés à être abattus et compose une clairière parsemée de petits bassins. Une “nouvelle réalité” écolo et concrète donc, qui ne se refuse pas une petite dose de merveilleu­x. Freeing Architectu­re Jusqu’au 10 juin, Fondation Cartier pour l’art contempora­in, Paris XIVe

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Groot Park, à Vijversbur­g, aux Pays-Bas

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